L’augmentation du niveau de formation et de qualification d’une population est une condition sine qua non de la mise en place d’une politique de développement économique. La théorie du capital humain nous enseigne qu’effectivement un niveau de formation et de qualification important relève le niveau de compétence, accroit la productivité du travail et stimule ainsi l’activité économique, tout en étant un préalable à la croissance endogène. De plus, l’école forme le citoyen dans ses choix et ses comportements, ce qui cimente la cohésion sociale.
Force est de constater qu’à ce jour, le système éducatif tchadien n’est pour l’instant pas à niveau, pour accompagner la trajectoire économique et sociale aboutissant à l’émergence. Les enjeux du développement combinés à la forte pression démographique rendent urgente une politique de réformes en profondeur du système de formation initiale et continue tchadien.
Panorama et contexte du système éducatif tchadien
En 2010, les enfants en âge de fréquenter l’école primaire représentaient 18 % de la population totale. Les estimations prévoient une augmentation annuelle de près de 100 000 enfants en âge d’aller à l’école primaire pour la prochaine décennie, impliquant potentiellement une forte demande de scolarisation. Le système éducatif primaire est à 93 % francophone, 4 % arabophone et 3 % bilingue (PASEC, 2012).
Depuis l’indépendance, le système éducatif primaire s’est principalement développé sous l’impulsion des communautés locales qui assurent la construction des salles de classes en matériaux traditionnels et contribuent à la prise en charge des maîtres communautaires. On retrouve ces maîtres dans les écoles publiques, privées et dans les écoles communautaires. Ces enseignants n’avaient en grande partie aucune formation professionnelle pédagogique. Depuis 2004, le Gouvernement s’est orienté vers leur formation et subventionne leur prise en charge (près de 50 % d’entre eux sont subventionnés). À long terme, cette politique permettra de contractualiser tous les enseignants communautaires ayant obtenu un diplôme professionnel pour enseigner. L’État forme également chaque année environ 3 000 enseignants, mais n’a pas la capacité d’intégrer directement ces nouveaux enseignants dans la fonction publique. Une grande majorité de ces maîtres enseignent en tant que maitres communautaires dans l’attente d’un poste de fonctionnaire.
L’analyse exhaustive du système éducatif tchadien permet d’identifier un certain nombre de dysfonctionnements expliquant la faible productivité de ce système :
Fort taux de redoublement et absentéisme
En moyenne moins de 4 élèves sur 10 qui entrent dans le cycle primaire termineront leur cursus primaire. Les filles achèvent encore moins l’école primaire que les garçons. Le Tchad reste un des pays avec les plus forts taux de redoublement (23 %). En 5ème année, plus de 6 élèves sur 10 ont déjà redoublé au moins une fois. L’étude a montré les conséquences négatives d’une rentrée scolaire tardive et de l’absentéisme des élèves ainsi que celui des enseignants sur la performance des élèves; 3 élèves sur 10 sont rentrés en cours après la fin du mois d’octobre.
Absence d’équité genre/ situation sociale
Sur le plan international, le Tchad appartient au 25 % des pays n’ayant pas atteint la parité garçon/fille dans le système éducatif primaire. Lorsque que le système scolarise 10 garçons, seulement 7 filles sont scolarisées. De plus, l’absence d’équité dans la rémunération des professeurs (agents publics, privés et maitres communautaires) reste un frein à la motivation des enseignants.
Peu ou pas d’ouvrages scolaires
Une forte proportion d’élèves n’a pas accès à des manuels scolaires. En 5ème année, en moyenne au niveau national, 6 élèves sur 10 n’ont pas de manuel de français et 7 élèves sur 10 ne disposent pas de manuel de mathématiques. En 2ème année, ce constat est plus alarmant, en moyenne, seulement 2 élèves sur 10 ont accès à un manuel scolaire.
Classes surchargées
L’étude a montré que la taille moyenne des classes au niveau national a baissé depuis 2004. Toutefois, les classes semblent surchargées en début de cycle en zone urbaine dans les écoles publiques (66 élèves) et communautaires (70 élèves).
Insuffisance dans la formation des professeurs
Est-ce que le fait que l’État prenne en charge une partie du salaire des enseignants peut être un levier pour améliorer la qualité de l’éducation sous contrôle des autres caractéristiques scolaire et extrascolaire. En effet, on pourrait présager qu’une augmentation salariale peut avoir un effet positif sur la motivation et l’estime de soi des maîtres et pourrait agir indirectement sur la performance des élèves. Les retards de paiement des salaires restent inadmissibles !!!
Alphabétisation
Malgré les efforts fournis par le Gouvernement, la situation actuelle de l’alphabétisation s’est détériorée ces dix dernières années avec des disparités très accentuées et déséquilibrées selon le genre et les régions. Les dernières données du 2ème Recensement Général de la Population et de l’Habitat de 2009 (RGPH2) montrent que le taux d’analphabétisme des adultes (15 ans et plus) a augmenté au Tchad passant de 67% en 2003 à 78% en 2009, soit une dégradation de 11 points. La persistance d’un faible taux d’achèvement du primaire couplé à une forte croissance de la population scolarisable (3,78% par an) a engendré un nombre élevé d’enfants déscolarisés, estimé à 807.000 enfants pour la tranche d’âge 9-14 ans. L’analphabétisme est plus marqué chez les femmes (86%).
Une inadéquation des formations avec l’offre d’emplois.
L’enseignement secondaire reste, au niveau du secondaire et du supérieur, beaucoup trop généraliste. En effet, les étudiants privilégient des études « de prestige » pour intégrer ensuite la fonction publique. Etant donné que les perspectives d’emplois dans la fonction publique déjà pléthorique vont s’amenuiser, limitant du coup les perspectives d’emplois dans le secteur public, le développement d’une offre de formation dans les services bancaire ou de la téléphonie ainsi que dans l’industrie est plus que d’actualité.
Vers une amélioration du temps scolaire ? La rentrée scolaire tardive et l’absentéisme des élèves et des enseignants mettent en péril les 900 heures de cours annuelle prévues par les textes et devraient faire l’objet d’une réflexion et d’un suivi rigoureux. Concernant l’assiduité des élèves, l’expérience brésilienne de la bolsa familia pourrait très fortement contribuer à la baisse de l’absentéisme
Le redoublement : constats et limites du dispositif : La promotion automatique dans les sous-cycles semble être la clé pour réduire administrativement le redoublement tout en sensibilisant tous les acteurs du système sur les limites de ce dispositif. Cette politique doit s’accompagner d’une politique de soutien adaptée et personnalisée aux élèves en grande difficulté scolaire principalement en début de scolarité où les difficultés se cristallisent entraînant échecs et abandons.
Quels enjeux pour l’organisation pédagogique des salles de classes ? Il serait possible de rassembler dans les écoles rurales, les élèves d’un même sous-cycle pédagogique (ex : CE1 et CE2) dans une seule et même salle de classe. Ce fonctionnement multigrade devrait être agencé dans les écoles rurales lorsque le nombre d’élèves par classe est raisonnable et seulement pour permettre d’alléger les effectifs d’une autre classe dans l’école ou dans une école proche. Ce dispositif doit être piloté localement par les inspections pédagogiques selon une logique d’équité et doit comporter une dimension visant à accompagner pédagogiquement les enseignants dans cette nouvelle organisation.
Des manuels scolaires pour tous ? Face à ce manque cruel de manuels scolaires, le ministère devrait s’engager à améliorer l’utilisation effective des ressources investies dans l’édition et la distribution des manuels scolaires en priorité dans les petites classes où la détention et l’utilisation d’un manuel scolaire sont susceptibles de favoriser les premiers apprentissages des élèves en français et en mathématiques. Une politique nationale intensive autour du « livre » (édition et distribution) devrait être développée.
Quel est le rôle de la formation des maîtres ? L’État devrait continuer à accompagner les maîtres communautaires dans leur nouvelle fonction en généralisant la formation continue professionnalisante. Les règles de prise en charge des enseignants communautaires doivent évoluer pour accompagner les enseignants selon leur formation. Cela pourrait permettre de limiter la fuite des enseignants communautaires
L’alphabétisation en cours du soir : Le développement des cours du soir, à l’instar de ce que fait l’Institut catholique de KABALAY à Ndjamena, devrait être développé sur tout le territoire national, et financé par l’Etat. Les enseignants seraient rémunérés en heures supplémentaires.
Nécessité de développer des filières technologiques et professionnelles : Le système de formation et d’éducation tchadien forme essentiellement des diplômés de l’enseignement général. Ces études « de prestige », certes adaptée pour le fonctionnariat, ne sont pas en phase avec les besoins de l’économie réelle. Les entreprises ont besoin de diplômés ayant des formations technologiques et professionnelles pointues.
L’économie tchadienne, comme bon nombre d’économies africaines ont une spécificité unique : Ces économies passent du secteur primaire au secteur tertiaire, sans passer nécessairement par l’industrialisation. La généralisation des formations technologiques et professionnelles tertiaire est essentielle. |
BAC G et BTS tertiaires, insuffisamment développés au Tchad, devraient être généralisés dans beaucoup plus de lycées et d’universités. En témoigne le développement des Nouvelles Technologies de l’Information et de Communication et du commerce par exemple. Le développement des BTS tertiaires et CQP, insuffisamment abouti, devrait satisfaire la demande des entreprises tout en offrant des emplois qualifiés à la jeunesse. A cet égard, l’expertise française dans ce domaine pourrait être sollicitée.
Des réformes structurelles doivent donc modifier en profondeur le système éducatif Tchadien. C’est la remédiation aux dysfonctionnements énoncés ci-dessus qui permettra à la jeunesse tchadienne d’être intellectuellement outillée pour prendre le « train de l’émergence » tout en contribuant au développement d’une classe moyenne , fondamental pour la croissance du fait de sa consommation.
A propos de l’auteur : Titulaire d’un DEA en Dynamque de l’Economie Mondiale de l’Université Paris X Nanterre, Michel ABDELOUHAB est professeur d’économie au Lycée Français de N’Djamena. |
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