Depuis l’antiquité la mesure des effets de l’éducation a préoccupé les philosophes, économistes et politiques sous différents aspects et selon les nécessités du développement de l’heure. Ces réflexions et théories ont établi des relations causales plus ou moins avérées entre rendement de l’éducation et revenu ou rendement de l’éducation et croissance. Elles visent implicitement à assouvir les idéaux de justice et d’équité à travers la recherche d’un idéal républicain favorable à la société de mérite ou l’accès à l’éducation serait garantie pour tous et les individus seraient rémunérés selon leur apport à la société.
Si tous les Etats du monde ont l’idéal républicain en partage, ils n’ont pas les mêmes normes et valeurs éducatives. Les économistes se sont distingués dans ce débat en assimilant presque unanimement l’éducation au « capital humain ». Ce concept se défini comme l’ensemble des compétences, qualifications et autres capacités possédées par un individu à des fins productives. Pour Schultz (1960), l’éducation est une forme de capital parce qu’elle rend un service productif. Pour acquérir ce capital, l’individu doit suivre un cursus qui le conduira du niveau scolaire, au niveau universitaire et à travers les expériences professionnelles. Au cours de ces étapes, il peut acquérir l’intelligence, la force physique ou les connaissances spécifiques à un domaine précis.
Tel que précédemment défini, l’éducation apparait comme un investissement et se pose alors naturellement les questions de son financement et de son rendement qui ont toujours préoccupé les particuliers et les Etats.
Rendement de l’éducation et production
C’est aux mercantilistes que l’on doit les premières analyses mettant en exergue la relation entre capital humain et développement des capacités productives. Ils concevaient la population comme la principale richesse des États «II n’est richesse que d’hommes » disait Jean Bodin. Par la suite de tous les auteurs qui se sont succédé dans la théorie classique aucun n’a véritablement remis en cause l’importance du capital humain dans la production des biens et services, mais avec William Petty un pas sera franchi. Comme ses prédécesseurs, il admet volontiers l’importance de l’apprentissage ou de la formation dans le processus de production mais contrairement aux autres, il va plus loin en essayant de le mesurer.
Cette première tentative d’évaluation du capital humain bien qu’innovant selon le contexte d’antan n’a pas fait l’unanimité au vu de ses limites. En effet, la méthodologie utilisée par William Petty n’intègre pas un niveau quelconque d’éducation ni les inputs de la formation éducative. Depuis lors beaucoup de progrès ont été observés dans les méthodologies utilisées pour l’évaluation du rendement de l’éducation. Parmi les plus pertinentes, on peut retenir les travaux de Welch (1970, 1942) qui a démontré que l’éducation influence positivement le revenu. Il conclut que l’accumulation de l’éducation par les travailleurs accroit leur habilité dans l’acquisition et le décodage de l’information concernant les coûts et les caractéristiques productives des inputs. Nelson et Phelps (1966) et Grilides (1969) pensent que l’éducation peut améliorer la productivité parce qu’elle est complémentaire aux autres inputs tel que le capital physique et aide les travailleurs à s’adapter au changement technologique.
Au cours de ces trente dernières années, les méthodes d’évaluation du rendement de l’éducation se sont adaptées à l’évolution de la structure de nos économies. Si elles confirment que l’éducation est toujours un facteur de croissance, son effet diffère selon le niveau d’enseignement et le niveau de développement.
Le rendement de l’éducation serait plus grand dans les pays en développement que dans les pays industrialisés. Pour les pays industrialisés, il existerait un seuil au-delà duquel seul l’investissement dans l’enseignement supérieur conserve son rendement et permet d’améliorer la croissance. |
Pour les pays en développement, ce seuil est appelé signal et marque la période ou le rendement de l’éducation va commencer à décliner. Des arguments théoriques récents ont démontré que quel que soit la productivité des individus à un moment donné, les besoins de production de la société deviennent plus fins et seul l’enseignement supérieur peut fournir de la compétence pour le satisfaire.
Rendement de l’éducation et revenu des ménages
Les ménages de par le monde ont compris depuis belle lurette que l’acquisition des compétences par la voie de l’éducation est la meilleure manière de disposer d’un revenu conséquent. A ce titre malgré que l’investissement dans l’éducation comporte des couts directs et indirects très élevés, pour chaque individu, l’éducation reste le seul moyen de se prémunir contre le risque de la pauvreté. Les individus qui ont un niveau d’éducation élevé ont souvent un revenu plus élevé, Ils connaissent moins le chômage et ont plus de chance d’occuper souvent des postes prestigieux par rapport aux moins diplômés (Denison, 1964). L’effet de l’éducation sur le revenu n’est pas uniforme dans la population, mais est plutôt une variable aléatoire qui varie avec les caractéristiques de l’individu et ceux de ses parents (Card, 1999). En considérant deux individus, on suppose que la différence du niveau de revenu peut provenir soit de la différence de leur niveau d’éducation, de la qualité de cette éducation, de l’expérience ou encore du secteur d’activité et de la nature du poste occupé. Gillis et al., (1990) montrent que l’analphabétisme qui sévit dans les pays en développement est la première cause du sous-développement et de la pauvreté galopante.
Rendement de l’éducation et marché du travail
Les facteurs institutionnels sont importants dans la détermination des salaires et la recherche de la croissance économique. Selon la théorie classique, le salaire doit dépendre de la productivité. Cette assertion se fonde sur le fait que dans le contexte concurrentiel caractérisé par l’atomicité de l’offre et de la demande du travail l’employeur est obligé de rémunérer ses travailleurs à la production marginale d’une unité de bien additionnelle produite. Ce faisant, le travailleur est incité à travailler plus puisque sa rémunération dépendra de sa productivité marginale. Nous venons d’observer que l’éducation peut fournir les compétences et les meilleures qualifications possibles à l’individu mais c’est lorsque la rémunération du travailleur dépend du marché concurrentiel que sa productivité peut s’affirmer. Les études de Bossiere (1985) corroborent cette affirmation en stipulant que le lien entre éducation et niveau de revenus ne se produit que lorsque le marché du travail est concurrentiel.
Dans le secteur public où la production n’est pas marchande, des milliers de travailleurs sont rémunérés selon l’indice fixé par des décrets administratifs. Le rendement de l’éducation des travailleurs du secteur public est difficile à cerner. N’évoluant pas dans un contexte concurrentiel, ils n’ont aucune incitation à améliorer leur productivité. Quels que soient les efforts entrepris ils ont droit à une rémunération standard. Leur rémunération n’est jamais au niveau de leur productivité ou à celui du rendement de leur éducation. Certaines fonctions ou responsabilités assurent des rémunérations au-dessus de la productivité de l’agent alors que d’autres lui assurent une rémunération bien moindre que son éducation lui aurait permis.
Dans le secteur privé, on retrouve théoriquement les conditions de la concurrence mais un certain nombre d’éléments entravent cette concurrence. Parmi les éléments qui constituent des rigidités à la libre concurrence du marché du travail, on peut citer entre autres le poids du secteur public qui peut influencer négativement la détermination du salaire dans le secteur privé, la forte syndicalisation de la société qui peut empêcher les ajustements des salaires et de l’emploi. Ces facteurs empêchent d’apprécier le rendement de l’éducation puisqu’ils constituent des contraintes à la fluctuation du marché.
En sommes, pendant très longtemps l’évaluation du rendement de l’éducation a été difficile à cerner, elle revêt des composantes et critères éparses. La diversité des critères d’évaluation de l’éducation n’a pas empêché les économistes d’établir avec précision des liens de corrélation très étroite entre rendement de l’éducation et revenu ou rendement de l’éducation et croissance. Cette relation est le ciment qui fonde l’ascension sociale selon les valeurs républicaines. Les Etats selon les nécessités du développement peuvent l’orienter selon les secteurs d’activités ou les facteurs géostratégiques mais le principe reste le même.
Pourtant au gré des revendications sociales ou des nécessités de la fonction régalienne, l’Etat en instaurant les salaires minimums, les allocations de chômages ou en augmentant le nombre des agents de l’administration publique, introduit les facteurs susceptibles de diminuer le rendement de l’éducation. Comme nous l’avons démontré plus haut celui-ci ne peut être meilleur que dans un marché de travail concurrentiel où la rémunération à la productivité incite le travailleur à l’utilisation efficiente des connaissances acquises pendant le processus éducatif. Les mesures dites sociales sont celles qui entravent au bon rendement de l’éducation mais malheureusement s’y opposé n’est pas au niveau du courage des politiques de notre ère.
Très bel article bien documenté. Je suis par contre opposé à la conclusion : forcer l’instauration de la CPP pour améliorer le rendement de l’éducation. Il faut toutefois reconnaitre que cette argumentation n’est valide que dans un contexte individualiste et la CPP ne peut qu’être illusoire. A mon avis, pour asseoir le développement il convient mieux de s’appuyer sur des préceptes holistes. Je suis plutôt keynésien certes mais je pense qu’instaurer un système de rémunération du secteur public uniquement axé sur la productivité serait très pénalisant pour notre système économique en particulier. Et avant de parler de rendement de l’éducation, il serait d’abord plus adéquat de parler d’accessibilité et de qualité de l’éducation. D’une certaine manière, vouloir forcer l’instaurer d’un salaire à la productivité quand l’accès à l’éducation (et surtout l’éducation universitaire) est un luxe que peu peuvent se le permettre revient à court-circuiter l’ascenseur social.
La porte serait grande ouverte à un effet Mathieu où ceux qui peuvent investir dans l’éducation de leurs enfants le feraient, leur permettant de décrocher les meilleures positions et salaires. Une réproduction sociale à 100%, c’est une entrave à la démocratie.
Je respecte votre opinion Mr Keynodji ainsi que le courant de pensée qui est le votre ( keynésien). Sans vouloir entrer dans les débats idéologiques ou théoriques je trouve très injuste que les hommes et les femmes fonctionnaires subissent de plein fouet les effets néfastes de l’inflation sans avoir la possibilité d’y remédier. Je ne sais pas quelle est votre profession mais les milliers de fonctionnaires tchadiens par exemple que nous sommes subissons l’inflation induite par l’exploitation du pétrole sans aucune possibilité d’anticiper la perte de notre pouvoir d’achat. C’est pourquoi j’en appelle a la rémunération a la productivité. Cette mesure n’est pas impossible a appliquer, il suffit de fixer les objectifs aux départements ministériels et en fonction de ces objectifs définir les critères de rémunération par rapport a la productivité de chacun.
Pour finir le keynésianisme prône l’intervention de l’État dans un MARCHE, donc dans un cadre concurrentiel. Les hypothèses keynésiennes ne sont réalisables que suite aux anticipations des uns et des autres à la politique publique. Il n’y a aucune raison de pénaliser les fonctionnaires de l’administration publique avec des salaires rigides.