Au Tchad comme partout dans le monde, l’importance de l’éducation dans le développement socioéconomique n’est point à démontrer. Composante du capital humain, l’éducation est un facteur puissant de promotion de croissance inclusive. Car un système éducatif efficace permet d’accroitre la productivité des facteurs (travail et capital), d’assurer l’épanouissement et la liberté des citoyens, de renforcer la cohésion sociale et de casser la transmission intergénérationnelle de la pauvreté. A ce titre la liberté d’accès à l’éducation, et surtout de l’éducation élémentaire pour tous, est la condition, et non pas la conséquence, du développement économique.
Si toutes les disciplines s’accordent sur l’importance de l’éducation dans le processus de développement des pays, comment y arriver semble être une énigme pour les Etats. En effet, les problématiques liées au financement de l’éducation, aux valeurs à transmettre, à la langue d’enseignement, à l’accès différencié à l’école selon les catégories sociales, à la déperdition des dépenses publiques d’éducation et au rendement externe de l’éducation sont prégnantes dans bon nombre de pays indépendamment de leur niveau de développement.
Le système éducatif tchadien a subi de multiples réformes allant de son financement à la « Renaissance de l’école » en passant par la langue d’enseignement afin de corriger ses imperfections et améliorer les rendements interne et externe de l’éducation qui restent les plus bas au Tchad par rapport aux pays comparables (Rapport du FMI n° 07/28, 2007). Loin de vouloir égrener le chapelet des problèmes qui minent le système éducatif tchadien, il est retenu ceux qui méritent une attention particulière au risque de se heurter à l’iceberg qui n’est plus loin. De tous les pays comparables, le Tchad se distingue par l’espérance de vie scolaire la plus courte et un écart nettement plus élevé entre les filles et les garçons. En 2011, environ 2 enfants sur 3 ne terminent toujours pas le cycle d’enseignement primaire en raison des taux élevés d’abandon et de redoublement. Le système éducatif tchadien est très peu lié aux besoins de l’économie, se traduisant par un fort taux des diplômés sans emploi. Le diplôme en main à la fin de leur formation, les jeunes sont souvent désagréablement surpris de regagner la longue file de diplômés sans emploi. Le faible développement de formation au métier fait que la plupart de tchadien rêve d’une formation diplômante de haut niveau renversant ainsi la pyramide éducative nationale. A titre d’exemple, il y a une carence des ouvriers qualifiés dans de spécialités telles que la maçonnerie, la plomberie, l’électricité, le froid et la climatisation, etc. La prépondérance des formations générales au détriment des formations au métier est due au fait que les emplois et les revenus sont plus liés à des positions dans des réseaux de pouvoir qu’à la contribution à la création de richesses et au premier rang de pourvoyeur d’emploi qu’occupe l’administration publique. Même là encore, les portes de l’administration publique ne s’ouvrent parfois et souvent qu’aux « élus chanceux » puisque les critères de recrutement sont souvent sujets à débat.
Profitant de ressources pétrolières, le pays a fait de l’éducation l’un des secteurs prioritaires de l’Etat, bénéficiant ainsi d’une augmentation de financement. L’analyse des dépenses du secteur montre qu’elles ont cru de près de 7% par an depuis 2001. Elles représentent en 2012 environ 90 milliards de FCFA, soit plus de 13% des dépenses courantes de l’état hors dettes. Toutefois, sur les 10 dernières années, rapportées au PIB, elles ne représentent que 2,5%, soit 10,3% du budget, ce qui est bien inférieur aux engagements pris dans le cadre de l’initiative Fast-Track (20% du budget). Il importe de signaler que le faible investissement dans l’éducation corrobore en partie le fait que la pauvreté demeure la principale variable explicative de l’accès à l’éducation, révélant des fortes inégalités sociales. Des inégalités régionales sont aussi observées dans la répartition des infrastructures éducatives et des ressources humaines.
Les réformes entreprises ces dernières années dans le secteur éducatif sont plus motivées par la gestion du court terme qu’une vision à long terme. Ainsi, l’espérance de vie d’une réforme dans l’éducation, loin de vouloir tout généraliser, est le temps que son initiateur passe au gouvernement. Certaines réformes ne durent même pas une année scolaire. Ce qui suggère leur manque de préparation. Pourtant, il n’y a pas un domaine complexe comme l’éducation où les réformes doivent être réfléchies et discutées par toutes les parties prenantes car il s’agit de l’avenir d’une nation et donc aucune faute n’est permise.
La conjugaison de tous ces problèmes empêche l’éducation de jouer pleinement son rôle dans le processus de développement du Tchad. En effet, la littérature économique prédit qu’une pénurie de capital humain dans un pays constitue un obstacle pour une croissance inclusive à long terme. Une étude du FMI (2007) a souligné à juste titre le fait que la croissance économique au Tchad est tirée par l’accumulation du capital physique et que la contribution de la productivité des facteurs est nulle voire négative certaines années. Ainsi, sans ignorer la nécessité de gérer le court terme, une réforme structurelle du système éducatif tchadien s’impose avec acuité au risque de compromettre la soutenabilité de l’économie tchadienne. Pour ce faire, il est temps que les plus hautes autorités en charge de l’éducation puissent travailler en concert avec les partenaires techniques et financiers du pays, les chercheurs, les organisations de la société civile ainsi que les parents d’élèves afin d’identifier avec exactitude les réformes structurelles en mesure de répondre aux maux qui minent ce secteur sans oublier la gestion de l’urgence actuelle.
Tchad Eco consacre exclusivement son septième numéro au système éducatif tchadien. Il présente d’abord les différentes théories liant le capital humain à la croissance, puis cherche à identifier les goulets d’étranglements qui empêchent ce mécanisme de fonctionner au Tchad. Enfin, il se propose d’aborder quelques pistes de réflexion et de faire de propositions de politiques économiques afin de renverser la tendance actuelle.
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