Je commence cet éditorial par l’histoire racontée par Russell Conwelle par rapport à un marchand indien qui, à la recherche de la prospérité économique, partit consulter un prophète. Le prophète lui prédit un destin incroyablement prospère à condition qu’il cherche le trésor qui l’attendait quelque part. Après avoir fait le tour du monde, le marchand rentra chez lui mains bredouilles. Agé, triste, dépité, il décida de creuser un puits pour améliorer ses conditions de vie, et au premier coup de pelle, il découvrit Golconde, la plus grande mine de diamants du monde.
La dépendance du Tchad vis-à-vis du pétrole a plongé le pays dans une crise de trésorerie sans précédent depuis fin 2014 jusqu’à présent. Le pays ne s’étant pas prémunis de mécanismes de stabilisation de revenus pétroliers, pourtant prévus par les textes régissant la gestion des revenus pétroliers, tergiverse sur les mesures adéquates à prendre. La faible résilience de l’économie nationale aux chocs des prix des matières premières contraint le gouvernement à recourir à des pratiques peu orthodoxes telles que les arriérés de paiement des fournisseurs, des salaires, l’arrêt des travaux publics, la dette extérieure, etc. Les conséquences économiques et sociales de ces pratiques ne sont point à démontrer. Pourtant, l’amélioration du niveau des ressources propres permet non seulement d’amortir les chocs exogènes, mais aussi d’assurer la soutenabilité des finances publiques. Selon le rapport du FMI (2015), la pression fiscale hors pétrole du Tchad se situe à 9,5% du PIB hors pétrole en 2014 contre 14% dans la zone CEMAC et 17% dans la zone UEMOA. Ce qui suggère non seulement un potentiel fiscal inexploité, mais aussi la nécessité de mettre en œuvre de réformes pouvant améliorer le niveau des ressources propres de l’Etat.
Un régime foncier « bien défini » produira des ressources au-delà des recettes foncières si le but de la réforme est de permettre aux propriétaires fonciers d’en utiliser comme un capital. |
Tchad Eco, fidèle à sa ligne éditoriale, animé le débat public sur la soutenabilité de l’économie nationale, explore du côté des réformes foncières pour renforcer la résilience de l’économie nationale. En effet, un régime foncier « bien défini » produira des ressources au-delà des recettes foncières si le but de la réforme est de permettre aux propriétaires fonciers d’en utiliser comme un capital. Pour cela, il est nécessaire d’assurer le droit de propriété « formel », permettant aux propriétaires fonciers d’utiliser leurs terres et maisons comme un capital, une garantie pour les crédits bancaires, un apport en nature pour un investissement, etc. En outre, il existe un fondement théorique solide sur la neutralité économique de la fiscalité foncière.
Ces réformes s’imposent urgemment pour plusieurs raisons. En plus de l’obsolescence des textes en vigueur (le code foncier date de 1967), il existe un imbroglio juridique entourant la gestion du foncier au Tchad, entrainant une insécurité juridique. Une conséquence immédiate de cette insécurité est le phénomène des « boulamas », nom donné aux démarcheurs « informels », qui spéculent sur les prix des terrains, entrainant des flambées des prix de terrain de telle sorte qu’un Tchadien moyen ne peut plus s’offrir un lopin de terre dans les grandes villes. Cette situation est aussi source de conflits qui engendrent des coûts non seulement pour les populations, mais également pour l’Etat car 80% des litiges en instance de jugement portent sur le foncier. Bien que le premier objectif d’une réforme foncière ne soit pas la fiscalité, la faible part de la fiscalité foncière dans les recettes fiscales totales (0,7% en 2012) justifie à juste titre des réformes dans ce secteur. En outre, la pression démographique conjuguée à la dégradation climatique met de pression sur les ressources, entrainant des conflits communautaires qui sapent la cohésion sociale.
Vu les enjeux économiques et financiers autour de la réforme foncière, il y a nécessité pour le Tchad d’adopter un nouveau code foncier afin de diminuer les risques de conflit, de créer un marché du foncier et d’accroitre les possibilités de mobilisation des recettes fiscales liées au foncier. Le libre accès au titre foncier permettra, sans nul doute, aux Tchadiens pauvres, en majorité rurale et féminine, d’extraire une vie économique de leurs terres et d’espérer à la prospérité économique qui leur semble devenir un mirage, l’épisode du pétrole n’ayant rien changé. D’ores et déjà un régime foncier bien défini est un contrat social intégrant les dispositions extralégales qui ont actuellement cours dans le secteur foncier. La négligence de ces dispositions risque de faire vivre au pays l’histoire du marchand indien racontée au début de cet éditorial.
Tchad Eco dans son 11è numéro a abordé la question de reformes foncières, mettant un accent particulier sur le décryptage du potentiel économique de ce secteur. Compte tenu des enjeux de la question et de son caractère transversal, une conférence sera organisée début Septembre, pour permettre à tous de faire de propositions qui seront formulées en termes de plaidoyer. Nous espérons donc vous voir bientôt à ladite conférence!
Jareth BEAIN
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