Le commerce international est depuis toujours considéré comme un moteur de la croissance et du développement économique. La libéralisation économique permise par les Programmes d’Ajustement Structurels des années 80s a conduit à une réduction substantielle de la fiscalité de porte. Dans la majorité des PED, cette baisse de la fiscalité de porte a été compensée par l’accroissement des recettes fiscales grâce notamment à l’instauration de la TVA.
Au Tchad, l’arrivée des recettes pétrolières en 2003 a conduit à une réduction de la collecte des recettes fiscales non pétrolière et douanière notamment (Voir l’article : A la découverte de la douane tchadienne). Avec le temps, le pays est devenu progressivement dépendant au secteur pétrolier qui d’après le FMI fournissait en 2013 70% des recettes budgétaires. La baisse progressive du cours du brut a mis en évidence l’extrême dépendance du pays aux recettes pétrolières. Pour faire face à cette situation, plusieurs mesures phares ont été prises et l’une de ces mesures est la réforme de la douane par le biais du déploiement du GUCE. Le GUCE a été expérimenté dans plusieurs pays à travers le monde. Les leçons apprises dans ces pays peuvent aider le Tchad à mieux déployer le dispositif dans le but ultime d’une meilleure collecte des recettes douanières. Cette revue de l’expérimentation du GUCE permettra d’identifier les facteurs d’échecs et de succès susceptibles de guider le processus d’implémentation en cours au Tchad. La revue des expériences pays portera sur la Colombie, le Cameroun, le Sénégal et le Bénin.
La réussite de la Colombie dans l’expérimentation du GUCE
La nécessité de la mise en œuvre du GUCE en Colombie résultait du constat selon lequel la douane du pays était inefficiente. En effet, les procédures de dédouanement pouvaient prendre jusqu’à 2 mois, faisant intervenir 18 entités publiques et une ou plusieurs entités privées (chambres de commerce notamment). Ce nombre élevé d’acteurs ainsi que la durée du processus de dédouanement ont entrainé une augmentation des coûts supportés par les entreprises réduisant leur marge bénéficiaires. Consciente de cette situation et de la nécessité d’une réorganisation de la structure administrative en charge de la gestion du commerce extérieur, le gouvernement colombien a décidé d’implémenter le GUCE. A terme, cela a entrainé une baisse de la compétitivité du pays du fait du surenchérissement du coût des investissements.
Le Décret n°4149, promulgué en décembre 2004, constitue l’ossature juridique du GUCE. La mise en œuvre du module des importations s’est déroulée en plusieurs étapes. En novembre 2005, les demandes de licences d’importation ont été automatisées à 100% par le biais du GUCE. A partir du 20 juin 2006, les enregistrements d’importations des villes autres que Bogota ont été automatisés à 100%. Depuis le 17 novembre 2006, tous les enregistrements d’importations sont traités par le biais du GUCE. Le module des exportations a été mis en place de façon facultative le 17 novembre 2006. En mai 2008, il est devenu obligatoire pour les licences d’exportation qui sont traitées par le biais du GUCE. Le formulaire unique pour le commerce extérieur est opérationnel depuis septembre 2008. Au total, la mise en œuvre du GUCE a nécessité environ trois ans.
L’implémentation du GUCE en Colombie a eu les résultats escomptés. Ainsi, la réduction du temps de traitement et d’acteurs a entrainé une baisse des frais administratifs liés au commerce extérieur représentant en moyenne 10% de la valeur des biens. Le délai de réponse aux usagers est passé de 20 à 5 jours. Il faut noter enfin que quelques années seulement après sa mise en œuvre, le GUCE a conduit à une augmentation des exportations et des importations du pays. Ainsi, les importations en volume ont cru de 394% et les exportations de 358% sur la période 2000 à 2012 (OMC 2013).
L’expérience mitigée du GUCE au Cameroun
Comme en Colombie, l’implémentation du GUCE au Cameroun résultait du constat de l’inefficience du système en place. Ainsi, plusieurs acteurs éparpillés et ne communiquant pas entre eux intervenaient dans le commerce extérieur. A cela, il convient d’ajouter un traitement manuel des dossiers et une circulation d’argent en espèce entre acteurs, ce qui accroissait les possibilités de corruption. Les délais de traitement de dossiers administratifs allaient de 16 à 40 jours. En outre, les procédures du commerce extérieur étaient régies par un ensemble de 140 textes législatifs et réglementaires mettant en œuvre 25 types d’acteurs. Enfin, le temps moyen de passage d’un conteneur était de 20 jours, ce qui ajouté aux autres contraintes entrainait des coûts supplémentaires considérables ayant pour conséquence le renchérissement du prix des biens et services.
L’idée de la mise en place d’un GUCE au Cameroun est le résultat de la recommandation de la Table Ronde sur la Réforme Portuaire de 1997. Suite à cette table ronde, le gouvernement camerounais a engagé des différentes concertations avec les opérateurs publics et privés. Il a été mis en place le 7 juillet 1999 et inauguré le 25 août 2000. Deux étapes ont marqué la mise en place du guichet unique au Cameroun. Dans une première étape, le guichet unique physique a été rendu opérationnel en l’an 2000. Il a consisté à regrouper sur un même site les principaux intervenants publics et privés du commerce extérieur. La seconde étape a consisté à mettre en place le guichet unique électronique ou e-GUCE qui est une plate-forme informatique mettant en relation les différents acteurs du commerce extérieur. Il est opérationnel depuis 2007.
L’implémentation du GUCE s’est traduite par des améliorations notables dans plusieurs aspects du commerce extérieur. Il s’est traduit ainsi par une réduction significative du délai de traitements de dossiers qui est passé de 15 à 3 jours pour les dossiers administratifs et de 40 à 19,5 jours pour les délais globaux. L’implémentation du GUCE a aussi permis une augmentation de l’efficacité dans le traitement des dossiers. A titre d’exemple, le pourcentage des déclarations traitées le jour de leur enregistrement est passé de 78% en 2009 pour s’établir à 97,1% en 2012.
Le plus grand avantage du GUCE au Cameroun a été sans nul doute l’amélioration du niveau de collecte des recettes douanières qui sont passés entre 2005 et 2010 de 345 à 503,5 milliards de FCFA.
Même si l’implémentation du GUCE a permis d’améliorer le niveau des recettes douanières, sa mise en œuvre crée cependant de nouveaux problèmes : longues files d’attente devant ce guichet unique où les opérations sont encore physiques et manuelles, saisie à maintes reprises de la même information par plusieurs acteurs, dispersion des efforts entre des initiatives différentes, paiement en espèce des prestations ce qui concourt à la corruption, mauvaise sécurisation des données non encryptées, falsification à répétition des documents mettant en doute l’authenticité de ces derniers, paiement des faux frais, absence d’outils adéquats pour contrecarrer la contrefaçon, existence de groupe de pression hostile au changement et manipulé par les fraudeurs, manque de transparence.
D’après une étude du Cabinet CESIA-International, les délais de traitement qui seraient passés de 15 à 3 jours pour les dossiers administratifs et de 40 à 19,5 jours pour les délais globaux tels qu’annoncées par les autorités ne sont que théoriques. Selon une étude menée de janvier 2007 à mars 2011, il faut environ 20 jours pour sortir une marchandise du port autonome de Douala. L’étude constate ainsi que, entre l’enregistrement du manifeste et l’enregistrement de la déclaration, les marchandises passent 13,6 jours. Alors que, entre l’enregistrement de la déclaration et la liquidation, on met 6 jours. Une seule partie prend 13,6 jours. Malgré les premiers succès engrangés au début, le GUCE au Cameroun a été un échec.
L’expérience réussie du GUCE au Sénégal
L’environnement du commerce extérieur sénégalais était soumis à de nombreuses contraintes qui fragilisaient le secteur. Les opérateurs économiques étaient soumis à des formalités lourdes, longues et complexes. En effet, le commerce extérieur sénégalais était caractérisé par : une réglementation complexe qui faisait l’objet d’interprétations contradictoires entre les différentes parties concernées, une forte dispersion des administrations publiques et privées qui conduisait à des dépenses supplémentaires, des délais de performances qui n’obéissaient à aucune règle, une forte utilisation du papier, un problème de sécurisation des données, une absence de rationalisation des données et documents exigés par les administrations publiques et privées. Tous ces problèmes ont conduit à une baisse de la compétitivité du pays.
Face à cette situation, le gouvernement sénégalais a décidé de recourir aux meilleures pratiques de facilitation des échanges en vigueur. Cela a conduit à l’implémentation d’une solution locale de facilitation du commerce sous la forme d’un guichet virtuel dénommé GIE-GAINDE 2000 plus connu sous le nom d’ORBUS.
L’implémentation d’ORBUS a conduit à une amélioration de l’environnement du commerce extérieur du Sénégal. Ainsi, on a assisté à une réduction du délai de dédouanement qui est passé de 18 à 3 jours et de celui d’enlèvement qui est passé de 3 à 1 jour. On a assisté aussi à l’interconnexion de l’ensemble des administrations publiques et privées qui interviennent dans les procédures de dédouanement. De même, la dématérialisation des formalités du commerce extérieur est devenue effective depuis le 20 février 2012. Par ailleurs, on assiste à la rationalisation des importations et à la promotion des exportations. On note l’attraction des investisseurs privés nationaux et étrangers. De même, le GUCE a permis à la douane sénégalaise de franchir le cap de 500 milliards de francs CFA de recettes en 2011, ce qui concerne les données sur les échanges commerciaux, les importations des biens et services en valeur ont cru de 280% et les exportations de 180% sur la période 2000 à 2012.
Le GUCE du Sénégal à travers GAINDE 2000 est considéré comme une mix-performance par le fait qu’il a permis au pays de se positionner comme l’un des leaders en Afrique. A l’heure actuelle, GAINDE 2000 a une représentation internationale en Asie, en Europe, aux Etats-Unis et en Afrique. Il a apporté son expertise dans plusieurs pays africains notamment, au Kenya, au Cameroun, au Gabon, et au Ghana. La compétence du guichet unique du Sénégal est reconnue sur la scène internationale. C’est ainsi que GIE GAINDE 2000 a remporté le 1er prix 2012 des Nations Unies pour le service public (UNPSA) dans la catégorie «Amélioration de la Prestation des Services Publics».
Malgré les différents succès à l’actif du guichet unique sénégalais, quelques difficultés constituant les principaux facteurs d’échec persistent et méritent d’être soulignées. Le délai de dédouanement de 3 jours annoncé est souvent perturbé quand il y a un délestage. Les coupures d’électricité et d’autres problèmes techniques font que parfois il faut mettre 5 à 7 jours pour les procédures de dédouanement. L’insuffisance de formation des usagers du guichet unique freine aussi sa bonne marche. La dématérialisation complète annoncée n’est pas encore totale, elle n’est qu’en partie. Toutefois, d’après les informations recueillies sur le terrain, il faut noter qu’environ 3/4 des programmes de dématérialisation sont aujourd’hui effectifs.
Le GUCE au Benin
Comme les autres pays, le Bénin faisait face à de nombreux problèmes qui entravent le bon fonctionnement du commerce extérieur. Le manque de compétitivité du commerce est dû aux procédures nombreuses qui ne répondent pas aux normes internationales. L’économie béninoise souffrait d’un environnement des affaires relativement morose, caractérisé par des lourdeurs administratives. Par exemple le délai entre le déchargement d’un conteneur au port de Cotonou et sa sortie du terminal était de 39 jours en moyenne. Cette lenteur administrative causée entre autres par la prépondérance des phénomènes d’insécurité et de corruption a impacté la compétitivité du pays.
Ayant compris l’importance d’une plus grande efficience du commerce extérieur, les autorités béninoises ont décidé d’implémenter le GUCE en 2011. Après plusieurs tentatives qui ont échoué, le pays a lancé un appel d’offre international pour la mise en œuvre et l’exploitation de son GUCE. C’est ainsi que l’offre a été attribuée en novembre 2010 au consortium Bureau Veritas BIVAC-SOGET sous la forme d’une concession. Ce projet a conduit à la création du SEGUB (Société d’Exploitation du Guichet Unique du Bénin). La SEGUB est chargée de la gestion du guichet. En novembre 2011, le Bénin a procédé à l’inauguration de son guichet unique.
Comme dans les autres pays, l’implémentation du GUCE a conduit à une réduction du délai de déchargement de container qui est passé de 39 à 6 jours, une réduction significative des délais de dédouanement des marchandises. En termes des échanges internationaux, sur la période allant de 2006 à 2012, les importations béninoises en valeur ont augmenté de 95,60% et les exportations de 88%. Ces données montrent que la mise en place du guichet unique a amélioré le climat des échanges mondiaux du Bénin.
Cependant, l’implémentation du GUCE se heurte a plusieurs contraintes dont une résistance au changement de certains agents pour qui l’ancien système profitait du fait de l’existence des possibilités de corruption plus élevées. Il faut aussi relever des lenteurs administratives liées au manque de volonté chez certains agents retardant les procédures de dédouanement et de sortie effective des marchandises. Malgré ces quelques ratés, le guichet unique béninois est considéré comme une expérience de réussite car 11 mois seulement après sa mise en place, il a réalisé des exploits remarquables pour le pays.
Les principaux facteurs d’échecs du guichet unique peuvent être résumés en termes de manque de volonté politique réellement et pratiquement exprimée par les autorités pour dynamiser son fonctionnement. On peut noter aussi la résistance au changement et le manque de maîtrise des outils techniques pouvant permettre une gestion efficace du guichet. De même, le problème de manque de discipline des agents constitue l’un des problèmes majeurs au bon fonctionnement du guichet unique. Ce qui entraine le paiement incontrôlé par les usagers de frais supplémentaires. L’insuffisance de moyen financier ne permet pas de réaliser de manière adéquate des activités. Aussi, la présence de groupe de pression manipulé par les fraudeurs qui profite du manque de transparence est un facteur déterminant de l’échec du guichet unique dans la plupart des cas.
D’un autre côté, le manque d’outils techniques adéquats entrainent par exemple le fléau de contrefaçon de certains certificats. Ce qui remet en doute l’authenticité des documents qui est l’un des objectifs majeurs du GUCE afin de lutter contre les fraudes. La falsification des documents ne permet pas la transparence dans les transactions. Le non-respect des procédures et de la règlementation par les usagers lié à la lenteur dans le traitement des dossiers constitue aussi un des problèmes qui entravent le bon fonctionnement du guichet. Enfin, l’insuffisance d’infrastructures de télécommunication est l’un des facteurs d’échec important à relever.
Quelles leçons le Tchad peut tirer de ces différentes expériences pays ?
Les expériences pays précédemment citées nous fournissent des pistes permettant de mieux réussir la mise en œuvre du GUCE au Tchad. A cet effet, le pays pourrait s’inspirer des recommandations suivantes en vue d’une meilleure implémentation du GUCE :
Organisation d’une étude de faisabilité : Pour mieux connaitre le terrain afin de réussir la mise en place et la gestion efficace du guichet unique, le pays a besoin d’une étude de faisabilité. Cette étude lui permettrait d’identifier les principaux obstacles à une implémentation réussie du GUCE ;
Réorganisation de la structure juridique, règlementaire et administrative : Pour un guichet unique réussi, le Tchad a besoin de réformer toutes ses structures juridique, règlementaire et administrative afin d’adapter les principaux textes à cet environnement. Cela permettrait de bien définir les objectifs du projet, l’un des principaux facteurs de succès du guichet unique comme le cas de la Colombie ;
Partenariat Public-Privé : Les expériences parcourues nous montrent que pour la bonne marche et la réussite du guichet unique, le secteur public tchadien a besoin d’un partenariat fort avec le privé. Il faut aussi créer une entité privée pouvant se charger de la gestion du guichet unique. Pour cela, il est convenable de lancer un appel d’offre international pour permettre de sélectionner une entreprise ayant des expériences poussées dans le domaine.
Implication de toutes les parties prenantes : Les expériences parcourues mettent en exergue l’importance de l’implication de toutes les parties prenantes. Cette implication fera de sorte qu’il sera facile de déterminer les goulets d’étranglement afin d’apporter des solutions idéales pour son succès.
Une volonté politique clairement exprimée : L’un des facteurs de réussite d’un environnement du GUCE est la volonté politique, seul moyen pouvant permettre de vaincre la résistance au changement provoqué par des groupes de pressions. Les expériences des autres pays parcourues présentent la résistance au changement comme l’un des premiers facteurs d’échec de l’environnement du guichet unique ;
Formation des agents et valorisation de la main d’œuvre locale : Pour permettre de maîtriser les différents aspects techniques du guichet unique, le Tchad doit procéder à la formation des cadres locaux. Cela dans le but non seulement de bien assurer le fonctionnement mais aussi dans le but d’éviter la dépendance vis-à-vis d’une main d’œuvre étrangère;
Un guichet unique totalement dématérialisé : L’expérience du Bénin nous indique que le GUCE totalement dématérialisé a permis à ce pays de présenter de très bons résultats en une période de 11 mois seulement après sa mise en place. La dématérialisation de cet environnement permettrait d’éviter les contacts physiques qui sont souvent à l’origine de la corruption, de pertes de recettes de l’Etat, etc.
Partage d’expérience : Afin de mieux gérer l’environnement du guichet unique, il serait idéal pour le Tchad de partager les expériences d’autres pays. La participation à des rencontres de partage d’expériences permettrait au pays de s’imprégner des différents facteurs qui ont conduit au succès ou à l’échec de certains pays, cela dans le but de copier les bonnes pratiques.
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