ECONOMIE : « Efficacité des dépenses publiques », décryptage par VITTIO HASSIA

Une dépense publique par définition est l’acte par lequel l’Etat ou l’organisme public se libère de son obligation de paiement vis-à-vis de son créancier. Le Tchad, ayant emprunté la voie de réformes des finances publiques, s’est doté d’une Loi Organique relative aux Lois de Finances appelée LOLF, promulguée le 18 Février 2014. La LOLF qui fait office d’une nouvelle constitution financière, a un simple principe de base : la nécessité de la dépense doit être examinée en fonction des objectifs précis assignés aux politiques publiques. Ces objectifs sont définis dans des Projets Annuels de Performance (PAP) et mesurés ex-post à l’aide d’indicateurs dans des Rapports Annuels de Performance (RAP).

Le PAP et le RAP sont des outils d’évaluation axés sur les résultats et la transparence. L’effort budgétaire s’étend tout au long de l’année afin de rendre plus efficace les dépenses publiques. La LOLF qui prévoit tous ces mécanismes intervient pour asseoir la culture de résultats à tous les niveaux afin de rendre efficace les dépenses de l’Etat. Le PAP accompagne la loi de finances initiale et le RAP est joint à la Loi de Règlement pour être mis en discussion devant l’Assemblée Nationale à l’effet, constater les résultats de l’exercice budgétaire de l’année N-1 et apprécier l’efficacité de l’action publique, au-delà, le bon emploi des deniers publics.

Pourquoi recherche-t-on l’efficacité des dépenses publiques au Tchad ?

En principe si les dépenses publiques sont effectuées efficacement, les fonds décaissés profiteraient bien à la collectivité, la pauvreté serait réduite au Tchad, tout le monde trouverait son compte et le pays irait de l’avant sur son sentier de développement et du progrès socio-économique. Au Tchad, parfois la réalité est toute contraire. Cet objectif tant recherché reste encore loin et beaucoup des efforts doivent se faire. Ce qui motive bon nombre des acteurs publics tchadiens c’est l’enrichissement personnel au détriment de la nation. On oublie que notre pays se positionne en queue de peloton dans la plupart des indicateurs internationaux de gouvernance comparativement à la moyenne des pays d’Afrique au Sud du Sahara et reste dominé par la pauvreté et des fortes inégalités sociales avec un chômage galopant. Selon la Banque Mondiale, le taux de pauvreté au Tchad devrait augmenter à 39,8% en 2019 et donc probablement 6,3 millions de pauvres en 2020, plus de la moitié de la population tchadienne par rapport au recensement de la population de 2011. Ce qui veut dire que malgré les efforts du gouvernement pour réduire la pauvreté au Tchad, l’efficacité des dépenses publiques reste encore très limitée. Beaucoup des facteurs minent cette efficacité. L’un des facteurs qui rend inefficace les dépenses publiques au Tchad c’est la corruption. Selon Transparency International, le Tchad occupe la 165ème place mondiale sur 180 pays par rapport à l’indice de perception de la corruption dans le monde en 2018. Donc, la corruption au Tchad a un impact négatif sur les résultats de politiques publiques. Avec la corruption, l’octroi des marchés publics ne se fait pas dans le respect des règles des marchés publics. Les conséquences sont les mauvaises qualités des prestations publiques, les routes mal bitumées et peu durables avec des coûts extrêmement élevés, des édifices publics construits sans le respect de l’art à des coûts exorbitants avec l’aide des contrôleurs qui produisent des faux rapports, des services faits certifiés avec complaisance, etc. L’autre facteur important et non des moindres est celui du vol et de détournements des fonds publics. Le vol et le détournement des deniers publics impactent négativement sur les résultats budgétaires que ce soit en ressources ou en dépenses. Avec le détournement, les fonds publics décaissés, qu’ils soient d’origine intérieure ou extérieure, ne vont pas entièrement dans la réalisation des projets et programmes publics attendus. Résultats : des projets et programmes non réalisés ou réalisés à moitié, des projets arrêtés, des projets réalisés sur papier sans existence réelle sur le terrain, des salaires payés en doublon voire plus ou des salaires payés pour des personnes décédées ou fictives. Qui sait encore si on a des centaines ou des milliers de matricules fictifs créés au sein du fichier de la solde de l’Etat comme le cas récemment détecté au Cameroun.

Sur la base de quoi peut-on justifier l’efficacité des dépenses publiques ?

L’efficacité des dépenses publiques peut être garantie par les différents mécanismes légaux de contrôle, par la culture de responsabilité et le changement de mentalité, et donc par l’action objective, transparente et performante dans la procédure d’exécution du budget de l’Etat. Si ces mécanismes sont bien mis en place et utilisés efficacement, nous pouvons apprécier si les projets publics prévus ont été réalisés et avec quel niveau de dépense par projet et comparer ces résultats avec les dépenses prévues et effectuées pour réaliser ces différents projets et programmes publics. Les dépenses publiques sont efficaces lorsqu’elles sont portées vers les projets de développement, porteurs de croissance économique enrichissante et du bien-être social. Elles les sont également si elles sont réalisées conformément aux principes et valeurs républicaines et si elles tiennent compte de la génération future. Dans ce cadre, on paierait, avec des fonds publics, des fonctionnaires et agents de l’Etat recrutés sur la base des critères objectifs qui se mettent résolument et efficacement au service du développement véritable de la nation. L’efficacité des dépenses publiques se voit à travers la liquidation. La certification du service fait doit se faire correctement et non avec légèreté sinon c’est le détournement des fonds publics. La surfacturation par exemple ne peut pas constituer un motif de rejet pour le comptable public. La vérification du service fait chez le comptable est une vérification sur pièces, elle ne peut pas totalement garantir l’efficacité des dépenses publiques au seul motif que certains tchadiens sont des spécialistes en technique de détournement des deniers publics que des spécialistes de technique de bonne gestion. La liquidation des dépenses publiques doit éviter des éléphants blancs, la mal façon de la liquidation ; elle doit éviter de désamorcer le processus de développement et de dilapider les fonds publics en acceptant de faire la liquidation par complaisance ou par légèreté.

Comment rendre les dépenses publiques efficaces au Tchad ?

Eh bien, les dépenses publiques peuvent être rendues plus efficaces dans leur objectif de réduction de la pauvreté par une meilleure qualité institutionnelle. La bonne gouvernance devrait permettre en l’occurrence un meilleur ciblage des dépenses par le biais de la participation des différents acteurs non étatiques à l’élaboration du budget. Le budget de l’Etat devant ainsi représenter ses priorités en matière de développement avec la prise en compte des besoins de la population. Par la responsabilisation des acteurs, toutes les entités qui participent à l’exécution du budget au niveau local comme national doivent être en mesure de rendre compte des différentes actions qu’ils ont menées car ils gèrent au nom de la collectivité. La transparence devrait permettre un accès pour tous à ces différentes informations. Ainsi tous les acteurs étatiques ou non que ce soit l’Assemblée Nationale, la Chambre des comptes, la société civile, devraient être en mesure d’assurer le contrôle du budget grâce à cette diffusion de l’information. Elle devrait permettre aussi un contrôle et une supervision plus pointue des actions de l’Etat et de ses agents sur le territoire. Et l’assurance d’un haut degré d’indépendance de l’Etat à l’égard des différents lobbies en présence jouerait clairement en faveur d’un effet positif sur la réduction du niveau de la pauvreté et l’efficacité des dépenses publiques au Tchad. La bonne gouvernance peut ainsi être appréhendée comme un facteur d’efficacité des dépenses publiques où les différents acteurs politiques rendent compte de leurs actes. Pour une efficacité des dépenses publiques au Tchad, les ordonnateurs et les administrateurs de crédits ouverts, les contrôleurs financiers, les comptables publics, tous doivent développer une culture de responsabilité et de rendre compte de la gestion saine et transparente des fonds publics. Au début, que les administrateurs de crédits soient à mesure de dire que nous avons telle politique publique, nous voulons tel moyen pour sa réalisation et à la fin, qu’ils soient aussi capables de rendre compte qu’avec tel moyen pour telle politique publique, voici tel résultat que nous avons produit. Ils doivent justifier leurs dépenses publiques au premier franc décaissé. Si chaque administrateur a dans son esprit qu’il n’a à rendre compte à personne, qu’il peut faire ce qu’il veut de ses autorisations budgétaires, alors on observera toujours des dérives de gestion et par conséquent, il sera difficile d’apprécier l’efficacité des dépenses publiques. Un prix de bonne gestion doit être décerné aux administrateurs qui ont assuré une gestion saine et efficace de leurs crédits budgétaires et, éventuellement des mesures de sanction proportionnelle pour les mauvais gestionnaires. Nous ne devons pas perdre de vue et pour le rappeler, la culture de performance qui permet de mesurer l’efficience des finances publiques et voir si on met plus ou peu des moyens pour réaliser nos objectifs. Nous devons : renforcer le contrôle à priori, pendant et à postériori sur toute la chaîne de la dépense publique (engagement, liquidation, ordonnancement et paiement) en respect de la discipline et du plan budgétaire, assurer un contrôle efficace de la Loi de Règlement par l’Assemblée Nationale pour constater les résultats de l’exécution budgétaire par rapport aux prévisions des autorisations budgétaires et nous améliorer pour des résultats futurs, effectuer un contrôle efficace sur les terrains pour constater de visu la réalité effective de la dépense publique, comparer le PAP et RAP et après contrôle de terrains pour constater l’efficacité de la dépense publique. Sinon le seul fait d’avoir payé une dépense publique sur la base de la conformité en respect du principe de la régularité sur pièces ne garantit pas que les dépenses publiques soient efficaces, car les pièces peuvent être régulières en la forme or c’est du faux caché et des éléphants blancs qui existent. En fin, nous devons aussi évaluer le rendement des fonctionnaires et agents de l’Etat à tous les niveaux de services publics pour juger de l’efficacité des dépenses de l’Etat et, éviter que l’efficacité des dépenses publiques au Tchad ne restent que sur papiers.

En somme, la transparence et la culture de rendre compte sont gages d’efficacité des dépenses publiques. Aussi, faut-il poser la question de savoir si l’efficacité des dépenses publiques pour réduire la pauvreté au Tchad est-elle conditionnée par la bonne gouvernance et le changement de mentalité ?

VITTIO HASSIA

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