A quoi sert un économiste si l’implémentation de ses propositions de politique économique est subordonnée à la volonté du politique ? Le but du présent article n’est nullement de dire que les économistes ne servent à rien. Il n’est non plus de jeter l’opprobre sur le politique qui tire sa « légitimité » du peuple et qui je ne me permettrais pas d’en douter s’échine à ce que ce peuple connaisse une amélioration continue de ses conditions de vie. Le but de cet article est d’essayer de comprendre pourquoi les réformes mettent tant de temps à être mise en œuvre sur le continent et quand elles le sont pourquoi peinent-elles à produire les effets escomptés. Je vais essentiellement défendre tout au long de mon argumentaire la thèse d’une incohérence temporelle et/ou factuelle entre l’agenda économique et l’agenda politique comme facteur explicatif majeur de la lenteur et/ou de l’échec des réformes.
D’abord les faits
Au cours des décennies écoulées, les gouvernements africains ont mis en œuvre un éventail de réformes visant à promouvoir la bonne gouvernance, la croissance et l’emploi. Ces réformes vont des politiques d’ajustement structurel de la fin des années 1980 aux mesures d’amélioration du climat des affaires de la période récente. L’évaluation de l’efficacité de certaines de ces politiques s’est avérée peu satisfaisante et questionne au demeurant le timing, la structuration et la pertinence des réformes. Si les politiques de stabilisation ont été au cœur de la décennie dite de croissance perdue (selon Easterly et Levine, 1997), l’amélioration du climat des affaires tient en bonne place dans l’agenda des réformes mise en œuvre ou planifiées par les gouvernements africains depuis le début du nouveau millénaire. L’amélioration du climat des affaires renvoie à la mise en œuvre des mesures qui permettent de faciliter l’investissement et la création d’entreprise, le but ultime étant le renforcement du secteur privé, la création des emplois et la réduction de la pauvreté. Ces mesures incluent des actions facilitant la création des entreprises, l’amélioration des conditions d’accès au crédit, la facilitation du commerce transfrontalier, la protection des droits de propriétés et des contrats. Les rapports Doing Business produits par les services de la Banque mondiale permettent ainsi d’observer la dynamique de ces réformes et de mettre en évidence la volonté des dirigeants africains de réformer. Sur la base de ces rapports qui sont produits depuis 2004, on peut noter que si en 2004, l’Afrique Sub-Saharienne (ASS) était la région la moins réformatrice en ce qui concerne le climat des affaires, elle occupe le troisième rang en 2016. Dans ce sens, le Burkina Faso a notamment facilité la création d’entreprises en réduisant le montant minimal de capital nécessaire à l’enregistrement d’une petite et moyenne entreprise. De manière similaire, le Tchad a rendu le transfert de la propriété moins coûteux en réduisant le taux de taxation sur le dit transfert. Ces progrès notables masquent néanmoins des disparités fortes au sein de la région. Ainsi sur un échantillon de 42 pays d’ASS observé sur les dix années d’existence du RDB, le Rwanda arrive en tête avec 42 réformes suivi de l’île Maurice qui a effectué sur cette période 26 réformes. Le premier pays de la zone CEMAC est la république du Congo qui occupe le 24 ième rang. Le Cameroun occupe le 26 ième rang avec 11 réformes, tandis que le Tchad se tient au 35 ième rang avec 8 réformes effectuées en 10 ans. Dans le même ordre d’idées, on peut calculer que depuis le premier RDB qui établit le diagnostic sur le climat des affaires, le temps moyen de mise en œuvre d’une réforme est de 3 ans pour le Rwanda, 6 ans pour le Cameroun et 9 ans pour le Tchad. La faible intensité du rythme des réformes et la lenteur dans leur mise en œuvre méritent qu’on s’interroge et questionne clairement la volonté politique des gouvernements.
Qu’est ce qui explique la lenteur des réformes ?
La littérature économique recense un éventail large de facteurs de nature à expliquer la faible intensité et la lenteur dans la mise en œuvre des réformes. Pour coller au plus près du contexte africain, il est possible de mettre en évidence 4 facteurs essentiels : (1) le degré de fragmentation politico-ethnique ; (2) la peur d’érosion du capital politique dans la perspective d’une réélection future ; (3) la fréquence des alternances politiques et (4) l’importance des effets redistributifs au sein de l’élite politique au pouvoir. La littérature suggère que les réformes sont adoptées tardivement dans des pays où la fragmentation ethnolinguistique et la fragmentation politique sont élevées. En effet, une fragmentation élevée peut rendre difficile l’obtention d’un consensus dans un contexte où les intérêts sont divergents. Dans un tel contexte, la nécessité de maintenir la paix sociale peut retarder la mise en œuvre d’une réforme même si elle est de nature à bénéficier à la majorité. Cependant si une telle thèse du moins en ce qui concerne la fragmentation ethnolinguistique peut expliquer la différence de performance entre le Rwanda et le Tchad, elle devient caduc s’il faut comparer le Tchad et le Cameroun. Dans le même ordre d’idée, l’existence d’une majorité politique obèse acquise au pouvoir dans la plupart des pays africains ne permet pas d’accréditer la thèse de la fragmentation politique comme source de retard dans la mise en œuvre des réformes. La peur d’érosion du capital politique a également été évoquée comme cause potentielle de la faible intensité des réformes et des délais dans leur mise en œuvre. Cette thèse s’appuie sur l’idée que les gouvernants lésinent à mettre en œuvre des réformes car au cas où elles échoueraient cela révèlerait leur incompétence et leur capital politique serait ainsi érodé. La probabilité d’être réélu serait alors faible. Cette thèse nonobstant sa vraisemblance échoue à l’épreuve des faits. Dans la quasi-totalité des pays d’ASS et notamment en Afrique francophone, la probabilité d’être réélu ne semble pas être fortement corrélé aux performances économiques. Sur un plan empirique, la littérature est assez nuancée. En effet si les bonnes performances économiques accroissent la probabilité d’être réélu, les mauvaises performances ne la réduisent pas forcément. La raison majeure tient à l’existence de facteurs liés à l’ethnicité et au clientélisme. La fréquence des alternances politiques est également avancée comme facteur d’accélération du train des réformes, notamment au début des nouvelles mandatures. Ainsi chaque nouvelle équipe au pouvoir veut marquer son arrivée par la mise en œuvre d’un éventail large de réformes. Une illustration factuelle de cette hypothèse explicative est le fait notamment que le Benin et le Sénégal soient respectivement classés respectivement 7ème et 8ème en termes du nombre de réformes effectuées sur la décennie, loin devant le Cameroun, le Gabon ou le Tchad. La thèse de l’alternance n’explique cependant pas pourquoi le Rwanda est en tête du classement des pays les plus réformateurs en ASS. La dernière théorie proposée pour expliquer l’intensité des réformes repose sur l’importance des effets redistributifs au sein de l’élite politique au pouvoir. L’idée sous-jacente est que l’élite au pouvoir ne peut mettre en œuvre des réformes que si elle est certaine que les profits qu’elle en tire sont supérieurs aux coûts. Cette théorie met également en perspective une forme d’arbitrage entre des réformes ou des actions coûteuses à court terme et celles qui le sont à long terme avec une préférence forte pour les secondes. Par exemple quel serait l’intérêt pour l’élite dirigeante d’informatiser complètement le processus d’attribution des marchés publics si cela limite la possibilité d’échanges monétaires liquides (qui enrichissent l’élite et facilite le financement du parti au pouvoir), même si par ailleurs cela limite la fraude et améliore l’efficience des dépenses publiques ? Dans le même ordre d’idée, quel serait l’intérêt pour l’élite politique dirigeante de rendre à la justice son indépendance si cette dernière peut être utilisée contre elle (notamment en condamnant des malversations financières et autres délits du pouvoir exécutif), même si par ailleurs une telle réforme améliore la protection des droits de propriété et accroit l’attractivité du pays ?
En définitive, bien qu’il existe une pléthore de facteurs à même d’expliquer la lenteur des réformes, seule la volonté des dirigeants de se défaire des intérêts égoïstes et de privilégier l’intérêt général peut permettre d’intensifier et d’accroître l’efficacité des réformes. C’est donc de volonté politique qu’il est question et de bonne volonté. En effet, aller contre ses intérêts de court terme est vraisemblablement contraire aussi bien à la rationalité économique que politique. Puisqu’il n’est ni possible, ni raisonnable de verser dans d’utopie, je propose une constitutionnalisation de la politique économique qui donne à l’agenda économique une complète indépendance du pouvoir ou de l’action politique.
Accélérer le rythme des réformes : vers une constitutionnalisation de la politique économique
La littérature sur l’incohérence temporelle initiée par Kydland et Prescott (1977) montre comment les gains de court terme peuvent amener les leaders en charge de la prise de décision économique à adopter des actions qui sont sous-optimales du point de vue du bien-être collectif. Dans ce sens il est important de mettre en place un cadre qui rend l’action économique indépendante des manipulations politiques. Les travaux sur l’indépendance des banques centrales, les règles budgétaires ou encore ceux récents sur les conseils budgétaires en sont une illustration suffisante. De la même manière qu’un adage vieux des luttes politiques post démocratisation suggère de laisser la politique aux politiciens, il est temps de laisser l’économie aux économistes. Cela passe par la création d’un conseil d’analyse économique qui propose un plan d’action économique avec des objectifs quantitatifs stricts, qui durent le temps d’une mandature de l’exécutif, est voté par le parlement et ne peut être modifié qu’à l’unanimité. Cette proposition est clairement une manière de lier les mains de l’exécutif, mais c’est surtout une façon de protéger la rationalité individuelle d’une irrationalité collective porteuse de conséquences désastreuses.
Thierry YOGO
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