La problématique du foncier est une préoccupation récurrente dans la plupart des pays en développement. Le Tchad ne fait malheureusement pas exception. De par sa situation géographique caractérisée par une grande zone désertique en expansion, occupant à nos jours les deux tiers de sa superficie, le Tchad connait depuis les deux dernières décennies une recrudescence des conflits agriculteurs éleveurs, souvent meurtriers. Les mécanismes mis en place pour le règlement de ces conflits sont inefficaces, du fait du manque de volonté politique et de l’implication négative et intéressée de certaines autorités, des responsables politiques et militaires.
La région du Logone Occidental dont Moundou est le chef-lieu est la plus petite entité territoriale administrative du pays mais qui a paradoxalement la plus forte densité de la population du pays. Sa position géographique au Sud-ouest du pays, à proximité de la zone du projet pétrole de Doba et limitrophe du Cameroun voisin en fait un axe stratégique pour les communications.
Les plaines du fleuve Logone qui traverse la région administrative du Logone Occidental ainsi que celles des différents affluents constituent des zones de pâturage qui attirent les éleveurs transhumants, occasionnant ainsi des conflits avec les agriculteurs pour qui ces plaines constituent des zones de cultures vivrières. Les conflits agriculteurs éleveurs ont pris de telles dimensions dans cette région qu’un atelier placé sous le haut patronage du ministre de l’intérieur et de la sécurité a été organisé à Loakassi pour tenter de trouver des solutions.
Moundou est aussi la capitale économique du pays. Sa population a triplé en trente ans, passant de 50.000 habitants à 187.000 habitants en 2010. Cette croissance démographique s’est naturellement traduite par un besoin en espace, conduisant à une occupation anarchique des villages et champs des populations environnantes. Cette expansion de l’espace de la commune s’est faite sans plan d’urbanisation, le seul moteur étant le morcellement et la vente des terrains lotis. Cette situation a occasionné de nombreux litiges fonciers qui ont fini par submerger les institutions judiciaires et de règlement des conflits de la place.
Cette contribution ressort les éléments clés d’une étude portant sur les différents problèmes de gestion du foncier dans la commune, notamment la recherche de pistes de solutions.
L’organisation administrative a prévu des instruments de gestion et d’aménagement du territoire tels que le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU), le plan urbain de référence (PUR). Si le SDAU n’a jamais été élaboré, le PUR par contre l’a été et le premier document est en phase d’actualisation lors de l’étude. Le document élaboré n’a malheureusement pas servi pour la gestion du développement de la commune ; il était resté dans les tiroirs. Les textes administratifs ont également prévu des instruments d’urbanisme opérationnel tels que le lotissement, la restructuration urbaine, la réhabilitation urbaine, etc. Dans la pratique, c’est le lotissement et la restructuration urbaine qui sont utilisés jusque-là. Les textes ont également défini les procédures devant conduire à la réalisation des lotissements et de la restructuration urbaine. L’initiative du lotissement revient au ministère en charge de l’aménagement du territoire. Une fois la décision prise, des études préalables sont réalisées par les services de l’urbanisme et de l’habitat. Un rapport technique avec un projet de lotissement est établi et transmis à la Commission Locale d’Urbanisme (CLU) pour approbation. Une fois le rapport technique et le projet de lotissement approuvés par la CLU, il est transmis au service en charge du cadastre pour l’implantation. Ce dernier procède à l’implantation du projet de lotissement et transmet le dossier à la Commission Locale d’Attribution des Terrains en Zone Urbaine (CATZU) pour compétence qui se réunit et procède à l’attribution des parcelles conformément aux demandes qui lui sont parvenues. Le procès-verbal et la liste des attributaires sont transmis au service du cadastre pour compétence. C’est à ce niveau que les attributaires sont invités à venir régler les frais afférents à leur terrain (frais de bornage, frais de publicité, acompte du prix du terrain, etc.) Le dossier traité est ensuite envoyé au service du domaine et de la conservation foncière qui invite les attributaires à payer le reste de la valeur du terrain. Le dossier en règle est ensuite transmis au Ministère des Finances et du Budget pour l’établissement du gré à gré.
En matière restructuration, une fois que la décision est prise, soit sur l’initiative des services techniques de l’Etat, soit sur l’initiative des populations elles-mêmes, le service en charge de l’urbanisme et de l’habitat procède à une étude technique de la zone ou du quartier à restructurer. Le dossier technique est transmis à la CLU pour approbation. Après approbation par la CLU, il est transmis au service du cadastre pour l’implantation. Il le fait en étroite collaboration avec les services techniques de la mairie. Une fois la restructuration réalisée, les habitants, propriétaires des terrains d’habitation, peuvent maintenant faire des demandes de régularisation de leur terrain auprès de l’arrondissement dont ils dépendent. Le dossier étudié est transmis à la mairie qui fait les vérifications avant sa transmission au service du cadastre pour le bornage proprement dit. La suite du cheminement est le même que celui du lotissement pour arriver au gré à gré.
Il est important de relever que les textes régissant le foncier au Tchad consacrent à plusieurs reprises la reconnaissance du droit coutumier sur le sol. Les dispositions de ces lois, sont dans leur ensemble pertinentes, bien que datant de 1967. Leur application aurait certainement permis d’éviter beaucoup de problèmes. Elles sont malheureusement ignorées par les agents de l’Etat en charge de la gestion du foncier.
Dans le cadre de la décentralisation, deux lois (loi n°002/PR/2000 portant statut des collectivités territoriales décentralisées et loi n°36/PR/2006 portant répartition des compétences entre l’Etat et les Collectivités Territoriales Décentralisées) ont été promulguées et qui contiennent des dispositions relatives à la gestion du foncier au niveau de chaque collectivité territoriale décentralisée.
En outre, pour la protection des populations contre la spoliation de leurs terres, des campagnes d’information et de vulgarisation des textes de lois doivent être menées sans délai. |
L’évolution de la commune de Moundou est marquée par le non-respect des dispositions légales et le dysfonctionnement total des structures de l’Etat chargées de la gestion du foncier. En effet, à partir de 1990, la terre est perçue uniquement comme un bien marchand. L’urbanisation s’est traduite par le simple morcellement, le lotissement et la vente anarchique des champs, des vergers et des périmètres de maraîchage des villages environnants de la commune. Aucun service lié à l’urbanisation n’a été réalisé dans les zones rurales incluses dans le périmètre urbain. Tout s’est fait dans le non-respect des lois et règlements en matière de gestion du foncier et le non-respect des normes urbanistiques. Les principales conséquences de cette situation sont les multiples conflits qui opposent les gens, notamment les propriétaires coutumiers des terrains dépossédés et les nouveaux acquéreurs, les conflits entre les nouveaux acquéreurs eux-mêmes du fait des doubles, voire triple attribution d’un même terrain, l’apparition des paysans sans terre dans la commune de Moundou, l’obstruction des voies naturelles de drainage des eaux, le lotissement à des fins d’habitation des zones inondables, le morcellement, la vente et/ou l’occupation des réserves de l’Etat, la destruction du reboisement de Koutou et son occupation partielle, etc.
Au vu des problèmes identifiés, l’étude recommande, entre autres:
- la suspension des lotissements afin de procéder au règlement de tous les litiges créés autour du foncier, la mise en ordre des documents cadastraux ;
- l’annulation des lotissements des périmètres maraîchers et leur restructuration afin de permettre aux exploitants de mener leurs activités de manière sécurisée ;
- le respect des textes et des procédures en matière de lotissement et d’attribution des terrains, notamment le fonctionnement des différentes commissions chargées de la gestion du foncier ;
- la mise en place d’une commission spéciale pour statuer sur tous les lotissements considérés comme illégaux : lotissements sans études préalables et faits en violation des dispositions légales ;
- la révision des textes instituant les commissions d’urbanisme et d’attribution des terrains pour prendre en compte la représentativité des communautés et de la société civile, dans le respect du processus de décentralisation et prendre toutes les dispositions nécessaires pour que les différentes commissions soient opérationnelles ;
- la clarification dans les meilleurs délais des limites du périmètre urbain de la commune de Moundou avec un plan cadastral annexé ;
- la prise de mesures urgentes pour la sauvegarde du reboisement de Koutou, ainsi que celles permettant de récupérer les réserves de l’Etat qui doivent être répertoriées et balisées.
Le niveau d’anarchie est tel qu’il faut des actions soutenues pour ramener de l’ordre dans la gestion du foncier. Les mauvaises habitudes acquises durent depuis deux décennies, des réseaux se sont tissés, il faudra donc de la volonté de la part des responsables administratifs pour remédier à la situation. L’élaboration d’un plan de mise en œuvre des recommandations est nécessaire.
En outre, pour la protection des populations contre la spoliation de leurs terres, des campagnes d’information et de vulgarisation des textes de lois doivent être menées sans délai. Une fois le périmètre urbain de la commune de Moundou clarifié, il est indispensable d’appuyer les villages environnants à se doter de plans cadastraux de leur localité. Enfin, il est impératif qu’un code foncier, intégrant les valeurs des us et des coutumes soit élaboré dans les meilleurs délais, en vue de respecter les droits des communautés rurales.
A propos de l’auteur : DJERALAR MIANKEOL est Chargé de Programme de l’association NGAOUBOURANDI (arc en ciel).
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