Les industries extractives (IE) en général et l’industrie pétrolière en particulier n’ont que pour lieu d’exécution, le sous-sol ou le sol. De ce fait, elles partagent nécessairement avec les activités humaines et les ressources biophysiques le milieu. On ne peut envisager la mise en œuvre d’une IE sans présager de ses impacts sur le milieu. Ce qu’il y a souvent lieu de faire, c’est d’entourer cette mise en œuvre d’instruments juridiques efficaces pour permettre une mise en œuvre respectant l’environnement.
Le Tchad avec le pétrole de Doba s’est inscrit sur la liste des pays à IE. Depuis le 10 octobre 2003, le brut tchadien est vendu sur les marchés internationaux. S’en sont suivis le pétrole du bassin de Bongor raffiné à Djarmaya depuis 2011 et la mise en place de la cimenterie de Baouré. D’autres ressources comme l’or s’exploitent de façon artisanale mais qui ne sont pas sans conséquence sur le milieu.
Les outils de suivi et contrôle de l’application du Plan de Gestion de l’Environnement
Pour la gestion rationnelle des ressources ainsi que les impacts sur le milieu biophysique et humain, des instruments ont été créés aussi bien du côté de la Banque Mondiale que du Gouvernement Tchadien pour la mise en pratique du PGE élaboré en prélude du projet. L e PGE est un document cadre où toutes les mesures de protection de l’environnement, de restauration du milieu dégradé, de la compensation des hommes ayant subi des dommages, … y ont été consignées. La Banque Mondiale a commis les instruments suivants : le Groupe International Consultatif (GIC) ; le groupe externe de suivi de la conformité environnementale (ECMG) ; le Panel d’inspection en matière d’environnement et le comité interne de la surveillance du projet.
Le Gouvernement quant à lui, a mis en place les instruments suivants : le Comité Technique National de Surveillance et de Contrôle (CTNSC) des aspects environnementaux du projet, le collège de contrôle et de surveillance des revenus pétroliers (CCSRP) et le Comité Provisoire de Gestion des 5% des Revenus Pétroliers (CPGRP).
Les organisations de la société civile se sont aussi organisées autour des instances comme la Commission Permanente Pétrole Locale (CPPL), la Commission Permanente Pétrole de N’Djaména (CPPN), le Réseau de suivi des activités pétrolières (RESAP) et le Groupe de Recherche Alternative et de Monitoring du Projet Tchad-Cameroun (GRAMP/TC) pour apporter leur contribution à la gestion des ressources pétrolières.
Notons que beaucoup d’outils juridiques ont encadré l’exploitation du projet de Doba. Ces outils servent de référence pour les autres projets qui ont suivi.
Clin d’œil : Les outils juridiques et réglementaires
Une batterie d’outils a été mise en œuvre afin que tout le projet ait peu d’impact sur le milieu biophysique et humain. Pour le projet de Doba, l’emprise spatiale au départ était estimée à 2133 hectares avec la possibilité de restituer une partie pendant la phase d’exploitation. A l’heure actuelle, la situation est tout autre avec des impacts de tout genre. Les principaux textes en rapport avec l’environnement au Tchad sont :
A ces outils nationaux s’ajoutent des outils internationaux mais aussi et surtout les directives de la Banque Mondiale consignées dans le PGE. |
Exploitation pétrolière et Environnement
Depuis quelques années, la consommation mondiale de pétrole a dépassé les 80 millions de barils/ jour pour atteindre 87,4 millions en 2010. Notre civilisation « boit » chaque jour plus de 12 milliards de litres de cette énergie fossile. Malgré la baisse de leur consommation en 2012, les Etats-Unis demeurent les plus gros consommateurs de pétrole. Ils sont suivis par la Chine et l’Inde dont la consommation croît rapidement. Le monde a déjà consommé 1 200 milliards de barils de pétrole. Les réserves prouvées de pétrole représentent aujourd’hui 1 500 milliards de barils. Ce qui représente 40 ans de notre consommation actuelle.
Aujourd’hui, nous nous déplaçons beaucoup plus qu’il y a 30 ans, et nous le faisons très souvent avec des moyens de transport polluants comme l’automobile ou l’avion. Au niveau mondial, les transports sont à l’origine d’environ 15% des émissions de gaz à effet de serre, et 50% du pétrole est consommé par ce seul secteur. Les énergies fossiles sont très émettrices de gaz à effet de serre lors de leur combustion.
L’extraction de cette énergie fossile passe par la mise en place des IE colossales, qui utilisent des procédés « environnemicides ». S’il est difficile voire impossible de nier l’importance du pétrole dans la quasi-totalité des secteurs d’activité de l’ère contemporaine, ce serait pratiquer la politique de l’autruche en ne reconnaissant pas les effets néfastes de l’industrie pétrolière sur l’environnement.
L’ouverture de la savane ou de la forêt lors de l’installation des IE, porte atteinte aussi bien à l’épanouissement faunique qu’à la croissance floristique. La santé des populations environnantes se voit aussi reléguée au second rang des priorités. Les torchères de gaz qui brûlent sans arrêt et l’odeur des hydrocarbures, causent des maladies aussi bien respiratoires que cutanées aux riverains et aux employés. Ceux-ci sont aussi victimes des nuisances sonores produites par les industries pétrolières.
Impacts sur le milieu
L’industrie du pétrole dans sa phase d’extraction a un impact réel sur les écosystèmes forestiers et des savanes. Cet impact se matérialise par la destruction des savanes et des forêts, mais aussi par la destruction de la faune et de la flore.
Destruction des savanes et forêts.
L’extraction pétrolière menace la forêt qui est un régulateur de la vie par une destruction liée à l’implantation de l’IE, et par une destruction liée à la pollution. Pour ce qui est du Tchad, la zone pétrolière du bassin de Doba est située dans la zone de savane, zone de transition vers cette zone forestière, poumon de l’humanité. Une disparition de cette savane ouvrira la voie à la « sahélisation », puis à la désertification de la forêt. D’où la nécessité de prêter une attention particulière pour cet écosystème.
Destruction liée à l’implantation de l’industrie extractive
L’IE appelle lors de sa mise en place, le déploiement d’une technologie lourde et à la pointe. L’exploitation du pétrole exige le défrichage d’importantes zones. C’est ce qui a été observé au Cameroun et au Tchad lors de la mise en place d’un oléoduc d’une longueur de 1070 kilomètres, destiné à transporter le pétrole foré à Doba au Tchad jusqu’aux côtes Camerounaises à Kribi. Une grande variété de plante a donc ainsi été décimée sur une longueur de 1070 kilomètres. Les essences les plus rares devant servir à la médecine traditionnelle et à la botanique ont ainsi été obligées à disparaître. Dans la zone d’opération, les plateformes, les bases vies, les routes inter puits, le centre des opérations, prévue pour occuper moins de 3000 ha, sont en dépassement à l’heure actuelle. Il en est de même pour les puits qui, de 300 puits prévus sont au-delà des prévisions, avec comme corollaire, la pression sur les ressources de la région.
Destruction liée à la pollution
La pollution produite lors de l’extraction pétrolière agit négativement sur la protection et le maintien des forêts. Les forêts subissent un effet de serre résultant des torchères des gaz. Le déversement du pétrole dans le milieu forestier ne permet pas le développement normal des espèces. En effet, lorsque le pétrole recouvre les racines aériennes des arbres, il empêche l’oxygène de circuler dans les tissus des racines enfoncées dans les sols anoxiques. Le pétrole peut être absorbé par les racines, véhiculé jusqu’aux feuilles et bloquer la transpiration. Il peut perturber les membranes des racines et provoquer une concentration mortelle de sel dans les tissus. Des cas de déversement ont été signalés aussi bien pour le projet Doba que le projet du bassin de Bongor.
S’agissant des déversements, le cas le plus marquant est le déversement accidentel de Koudalwa qui a créé une embrouille entre le Gouvernement Tchadien et la CNPCI. Le gouvernement tchadien a annoncé avoir suspendu « toutes les activités » de la filiale tchadienne de la compagnie pétrolière publique chinoise (CNPCIC) pour « violation flagrantes des normes environnementales » dans ses forages d’exploration de brut dans le sud du pays.
« Nous nous sommes rendus sur les zones d’activité de la China National Petroleum Corporation International Chad (CNPCIC) à Koudalwa (environ 200 km au sud de N’Djamena), où nous avons constaté une violation flagrante par cette société des normes environnementales« , a déclaré le ministre du Pétrole, Djérassem Le Bémadjiel, en annonçant la suspension des activités de la société dans le pays, sans préciser la durée de cette mesure.
Pour le ministre, « le comportement de la CNPCIC est inadmissible. Toute la chaîne hiérarchique de cette société va répondre de ses actes« .
Le ministère tchadien de l’Environnement a adressé une amende de plus d’un milliard de dollars à la CNPCIC pour les dégâts causés par ses activités. 1 milliard et 200 millions de dollars (870 millions d’euros). C’est précisément le montant de l’amende que le ministère tchadien de l’Environnement a notifié à la société. Après le paiement de tout ou partie de cette somme, la mesure avait alors été levée au début de l’année 2014.
Mais la notification du ministère de l’Environnement transmise à la CNPC en date du 21 mars, précise que les mauvaises pratiques d’exploration des hydrocarbures et de gestion des déchets n’ont pas cessé. Du brut s’est déversé lors de l’exploitation mais il a été enfoui dans des fosses à même le sol, sans aucune précaution, entrainant notamment une contamination des nappes phréatiques.
Les boues de forages, déchets hautement toxiques, ont également été sommairement placées dans des fosses à ciel ouvert, provoquant une contamination des eaux souterraines et de surface.
Des carrières de 3 à 4 mètres de profondeur (la norme requise est de 1m50), ont par ailleurs été creusées lors de l’exploitation sans être sécurisées, ce qui représente un danger permanent pour la population et la faune locale. Comme on le voit, le risque est aussi grand aussi bien pour le milieu physique qu’humain.
Les conséquences sur les divers milieux
La disparition d’arbre entraine l’érosion des terrains et l’avancée du désert. C’est à juste titre que l’on peut affirmer que où l’homme passe la forêt trépasse. Avec son lot de conséquence sur le mode de vie des populations. La qualité de l’air change, les habitudes alimentaires sont perturbées. Les pygmées de la sous-région sont par exemple contraints à changer d’une manière drastique leur mode de vie qui repose sur leur environnement naturel.
La Commission Mondiale sur les Forêts et le Développement Durable rappelle que « quelques 350 millions de personnes les plus pauvres de la planète sont entièrement dépendantes des forêts pour leur survie ». Ce sont des produits ligneux et non ligneux qui sont sollicités. De plus, certains groupes ethniques ont longtemps considéré l’environnement naturel comme une réserve de protéines carnées (faune) et de terre (culture et élevage).
Destruction faunique
Le patrimoine faunique riche et varié, élément socioculturel depuis des temps mémoriaux revêt de nos jours une importance capitale sur les plans économiques et scientifiques.
Au plan économique, la faune est le levain d’une industrie touristique en pleine expansion. Au Cameroun par exemple, ce secteur contribue annuellement à plus d’un milliard de FCFA aux caisses du trésor public et génère de nombreux emplois.
Au plan scientifique, la faune contribue de façon essentielle au maintien de la chaine vivante constituée par les animaux, les plantes et les hommes. En effet, la faune assure la composition de la flore. Nombreuses espèces fauniques assurent la dissémination et la fructification de certaines espèces végétales et d’autres espèces ne peuvent germer qu’après avoir transité dans l’estomac de certains animaux.
Sans rendre seul responsable de la disparition de la ressource faunique, l’IE, la présence permanente des engins produisant du bruit dans un habitat, contribue à faire fuir les animaux. C’est ce qui s’observe actuellement dans le bassin de Doba.
Destruction floristique
Toute la richesse floristique présente un intérêt scientifique indéniable. Ils sont importants dans la recherche en laboratoire, dans le maintien de la chaine alimentaire et dans la pharmacopée. La médecine traditionnelle qui est forte présente dans les mœurs et coutumes des habitants de la sous-région, tire ses décoctions de cette flore, et la considère comme une grâce divine. Grâce à son rôle régulateur du climat et fertilisant du sol, la disparition de la flore fragilise les conditions de vie de la population des sites d’industries extractives.
Les effets sociaux et sanitaires
La santé des populations d’une région est étroitement liée à la qualité de son environnement. Des millions de personnes dépendent entièrement pour leur survie des produits de la nature. La préservation de l’environnement est le gage du maintien d’une vie paisible et agréable sur terre.
Changement du mode de vie des populations
Les conséquences de l’extraction pétrolière sur les écosystèmes que sont la destruction des forêts, la destruction de la faune et de la flore déjà, amènent fatalement l’homme à revoir ses habitudes. Celui-ci doit s’adapter à un milieu dont il n’était pas prédestiné. Le calme qui caractérisait son milieu, fait place au vacarme des importantes installations pétrolières. La forêt qui représentait sa pharmacie n’existe plus. Les perdrix qui lui servaient de réveil, laissent place aux sirènes des usines extractives. Le gibier et le poisson deviennent rares. Fini la belle époque où, il suffisait de regarder sur les arbres, pour voir défiler des familles de singes sautant de branches en branches.
Changement des habitudes alimentaires
Certains groupes ethniques ont longtemps considéré l’environnement naturel comme une réserve de protéines carnées (faune) et de terre (pour les cultures et l’élevage). Les populations pour survivre sont contraintes à trouver ailleurs que dans leur environnement, des alternatives à leurs habitudes alimentaires. Elles se trouvent par exemple devant un paradoxe de taille pour une zone d’une telle richesse halieutique : Consommer du poisson exporté. Ce changement des habitudes alimentaires imposé par la force des choses aux populations en grande majorité indigente participe sans coup férir à la paupérisation des populations. De producteurs qu’ils sont, les habitants de ces zones sont obligés d’acquérir leurs nourritures et deviennent de facto des dépendants alimentaires.
Paupérisation des populations
L’extraction pétrolière en cours dans cette zone du monde, produit l’effet contraire escompté. Elle ne profite pas aux populations et en plus, pollue l’environnement. Or si l’environnement est pollué, il devient difficile de trouver des terres saines pour cultiver, de l’eau potable pour se désaltérer, de l’eau pour irriguer les cultures, de l’air pure pour la respiration et la photosynthèse, des produits alimentaires et médicaux naturels pour se maintenir en bonne santé. Il est donc évident que « préserver l’environnement équivaut à préserver la production alimentaire, préserver les moyens d’existence, et préserver la santé ».
La pollution par les hydrocarbures est la cause de différentes maladies, qu’on peut scinder en deux groupes. D’un côté les maladies respiratoire (tuberculose et le cancer du poumon), et de l’autre les maladies cutanées (allergies épidermiques et cancer de la peau).
Ce qu’il y a lieu de faire
Au vu de la situation actuelle, il conviendra de :
- définir les responsabilités juridiques du consortium face aux risques et dommages sociaux et environnementaux engendrés par le projet et plus particulièrement l’élaboration d’un plan d’intervention en cas de pollution par les hydrocarbures ;
- renforcer les lois nationales (code forestier, code foncier, code pétrolier, loi de protection de l’environnement, lois 23/24 relatives à la procédure d’expropriation, code de l’eau, etc.) ;
- réaliser des études complémentaires sur les données environnementales et sociales de base à chaque implantation d’industries extractions ;
- réintroduire le fonds pour les générations futures ;
- alimenter le fonds de stabilisation pour ne pas se retrouver dans la situation de difficulté de trésorerie comme à l’heure actuelle. Quand le trésor du pays est exsangue, la protection de l’environnement est toujours reléguée au second rang.
Fonder l’économie du pays sur les seules ressources pétrolières est une grave erreur et tout le monde l’a appris à ses dépens. Ces ressources ont certes boosté l’économie du pays mais, en faisant l’avantage comparatif, on se rendrait compte qu’il reste des dispositions à prendre à tous les niveaux : outils juridiques, utilisation des ressources, gestion de l’environnement, pour faire contribuer les industries extractives à l’industrie soutenable du pays.
A propos : Dr MADJIGOTO Robert est expert géographe, géomaticien, environnementaliste. Il est enseignant-chercheur à l’Université de N’Djamena. |
Merci pour cette contribution Dr.