La récente chute du cours du brut a eu des répercussions sur les finances publiques des pays producteurs qui n’ont pas constitué des réserves financières suffisantes. En plus, la plupart de ces pays avaient établi leur budget de l’année 2014 avec des projections de prix au-dessus de 90 dollars. Bien que l’attention de l’actualité soit tournée sur les stratégies adoptées pour faire face à cette baisse des prix, il peut être intéressant de s’appesantir sur les raisons de cette chute des prix qui touche non seulement le pétrole mais aussi un grand nombre de matières premières minérales et énergétiques. Conséquence de cette baisse des cours, les grandes multinationales du secteur extractif (Rio Tinto, Glencore, etc.) ont annoncé la cessation d’un ensemble de projets d’exploration et ont revu à la baisse leurs programmes d’investissement dans plusieurs pays (RDC, Tchad, Afrique du Sud, etc.).
Les raisons macroéconomiques
Plusieurs causes sont à l’origine de cette baisse des cours. Tout d’abord, le ralentissement de la croissance chinoise qui pour la première fois depuis les années 1990 est passé sous la barre de 10%. En effet, en 2014, la croissance de la seconde puissance mondiale était de 7%. Il convient aussi d’ajouter à cela, la croissance plus faible dans la plupart des pays émergents (Brésil, Afrique du Sud notamment). En outre, la récession économique qui touche une grande partie des pays de l’Union Européenne depuis la crise financière de 2008 peut expliquer de façon marginale cette faiblesse des cours. L’idée est que le ralentissement économique dans ces pays impacte négativement leur demande en pétrole. Suivant la loi de l’offre et de la demande, une baisse de la demande entraine aussi une baisse des prix, toutes choses égales par ailleurs.
Les raisons géostratégiques
Des experts du secteur expliquent le maintien d’une production élevée de l’Arabie Saoudite par une guerre des prix avec les Etats-Unis. En effet, l’une des raisons de la baisse des cours est la saturation du marché par du pétrole de schiste Américain. L’Arabie Saoudite parie sur le fait que l’exploitation pétrolière issue du pétrole de schiste n’est pas rentable en deçà de 40 dollars. Déjà, ce pari est presque gagné dans la mesure où cette baisse des cours endette grandement les entreprises exploitant le pétrole de schiste. Une autre raison avancée par certains analystes et qui se rapproche de la théorie du complot est que cette baisse résulte d’une entente entre ces deux producteurs pour affaiblir leurs rivaux sur la scène internationale que sont la Russie et l’Iran. Ces derniers voient leurs réserves en devises fondre en raison de la baisse du cours du brut et la Russie a même frôlé une crise financière. Pour l’Iran dont l’économie souffre déjà des sanctions internationales, cette baisse des cours a encore exacerbée sa situation économique. L’annonce récente d’un doublement de la production en raison entre autres de la levée des sanctions internationales augure encore de longs mois de prix faible et qui devrait se situer en dessous de 60 dollars.
La financiarisation des transactions pétrolières
Même si les deux raisons évoquées précédemment expliquent dans une grande partie la baisse actuelle du cours du brut, il est important de souligner le rôle important de la financiarisation accru du marché. Pour se prémunir des risques de retournement de conjoncture du fait de la très grande volatilité du cours du brut, les acteurs du marché (producteurs et consommateurs) ont encouragé le développement de marchés à terme. Cela a conduit au développement de nouveaux instruments financiers qui permettent de se prémunir de la volatilité des cours. Ces actifs spéculatifs sont des produits dérivés appelés aussi « contrats futurs Brent ». Concrètement, ce sont des certificats (en anglais warrants) émis par les banques spécialisées qui permettent à a fois de se couvrir des risques de hausse du cours des actifs (les calls) ou d’une baisse (les puts). A titre d’exemple, une compagnie pétrolière peut se prémunir de la baisse des cours en achetant des contrats futurs qui fixent à l’avance le prix de vente de cette matière première. Inversement, une compagnie aérienne peut se prémunir d’une hausse des cours en achetant du pétrole à un prix d’achat fixé à l’avance. Ces produits dérivés sont gérés par des fonds spéculatifs à majorité anglo-saxons (Hedge Funds). Ces produits, compte tenu du risque élevé qu’ils possèdent, génèrent aussi des profits énormes. Début 2014, les hedge Funds ont anticipé une hausse des cours et au courant du mois de juillet de la même année, ils ont modifié leur stratégie et ont vendu 60% de leurs options haussières tout en achetant massivement des options de vente. Cette vente massive a largement accentué la baisse des cours.
Une autre raison financière de la baisse des cours est l’évolution de la structure de financement des sociétés productrices de gaz de schiste. Selon un récent rapport de la Banque des Règlements Internationaux (BRI), ces sociétés affichent effectivement un très fort taux d’endettement et se financent massivement par l’émission d’obligations à haut risque, et par conséquent à fort rendement (junck bonds). En raison de la chute des cours, l’écart de rendement entre ces Junk bonds et obligations dites « sûres » est passé de 3, 3% en juin 2014 à 8% en janvier 2015. A cela, la chute des cours a dégradé la valeur des réserves pétrolières qui servent d’hypothèques aux dettes contractées par les multinationales du secteur auprès des banques. Très globalement, les coûts de financement et de refinancement des compagnies pétrolières ont fortement augmenté, accentuant le recours au préfinancement, c’est-à-dire la vente anticipée d’une production future en contrepartie d’un paiement immédiat. C’est ce qui a contribué à l’accroissement de l’offre et donc de la baisse des prix.
Et le Tchad dans tout ça ?
La baisse du cours du brut a eu le mérite de mettre en évidence l’extrême dépendance des finances publiques aux fluctuations des recettes pétrolières. D’après le FMI (2014), les recettes issues de l’exploitation pétrolière représentaient en 2013 70% des recettes budgétaires, 90% des exportations et près de 30% du PIB nominal. Ce retournement de conjoncture est une occasion en or pour les pouvoirs publics de mettre en œuvre les réformes nécessaires en vue d’une refonte de la structure productive du pays. En effet, la soutenabilité de l’économie tchadienne passera par une diversification de l’économie qui permettrait d’impulser une croissance endogène et inclusive, qui permettrait de gagner le pari du développement. Une stratégie de diversification du pays passera par une mise en valeur des potentialités du pays dans les domaines agricoles, de l’élevage et de l’industrie. Un autre mérite de cette baisse des prix du brut, pas de moindre, est la prise de conscience des autorités publiques tchadiennes de la faiblesse de la mobilisation des ressources propres et donc la nécessité de l’améliorer. D’ailleurs le séminaire gouvernemental du début octobre trouve tout son sens ici.
A propos de l’auteur : Titulaire d’un DEA en Dynamique de l’Economie Mondiale de l’Université Paris X Nanterre, Michel ABDELOUHAB est professeur d’économie au Lycée Français de N’Djamena. |
Bravo Michel. On voit que tu maîtrises le sujet.