Un des derniers-nés des pétro-États d’Afrique, le Tchad s’est doté d’un arsenal juridique et des institutions ambitionnant faire du couple pétrole-développement une réalité. Qualifié de «projet pétrole modèle» pour un pays en développement par la Banque mondiale, ce dispositif, en assurant la transparence dans la gestion des ressources pétrolières et la responsabilisation des autorités, devrait permettre aux Tchadiens, appauvris depuis l’indépendance par l’instabilité politique et la mauvaise gouvernance, à nouer avec la prospérité économique tant espérée au point de devenir un mirage.
La loi 001/PR/1999, innovatrice en matière de gestion des revenus pétroliers, était censée résoudre le paradoxe pays riche – population pauvre ou la malédiction des ressources naturelles pour les économistes. En effet, voulant tirer leçon des expériences d’autres pays dans ce domaine, le dispositif prévoyait: la mise en place des politiques pro-pauvres à travers le financement des secteurs sociaux et la stérilisation des revenus pétroliers aux effets stabilisateurs via la création des fonds souverains (fonds pour les générations futures et fonds de stabilisation macroéconomique). L’implication de la société civile dans les instances de contrôle, notamment le Collège de Contrôle et de Surveillance des Revenus Pétroliers (CCSRP), confirmait, à son temps, la volonté manifeste des tchadiens de faire du pétrole une bénédiction. L’environnement n’a pas été perdu de vue et ce par le truchement de la création du Plan de Gestion de l’Environnement (PGE). Ainsi, le ficelage du projet paraissait parfait et le Tchad allait, enfin, s’illustrer sur la scène internationale dans un autre domaine que celui de ses forces armées.
Douze ans passés, que reste-t-il de ce dispositif « exemplaire » ? Bien que des réalisations en termes d’infrastructures sociales et d’assainissement des finances publiques résultant de la transposition des normes sous régionales et internationales ont été faites, la situation du pays est peu reluisante. Et tenez-vous bien ! Loi 001/PR/99 a été modifiée plusieurs fois aboutissant à la suppression des fonds pour les générations futures en 2006. En termes de performances économiques et institutionnelles, notre pays tient la queue du peloton. 184ème/187 pays en 2014 pour l’indice du développement humain (IDH) du PNUD, 189ème/189 pays en 2014 pour le Doing Business de la Banque Mondiale, 140ème/142 pays pour le classement 2014-2015 de World Forum Economic sur la «compétitivité mondiale des entreprises», 51ème/51 pays dans le classement 2015 de l’indice Mo Ibrahim sur la gouvernance en Afrique, 154ème/174 pays dans le classement 2014 sur la perception de la corruption de Transparency International. Les compagnies extractives ne respectent pas ou très peu les normes environnementales, en témoignent les récentes bisbilles entre le gouvernement et la CNPCI. Enfin, le séminaire gouvernemental du début Octobre, réunissant toutes les institutions en charge de mobiliser les ressources propres, sonne le glas de l’imminence de l’iceberg, suggérant de ce fait la non soutenabilité du modèle économique actuel.
Le secteur pétrolier tchadien a connu plusieurs mutations allant des acteurs, des champs exploités aux textes juridiques et institutions qui l’encadrent. On dénombre aujourd’hui plus d’une dizaine de compagnies pétrolières sur le territoire national, contre un consortium de 3 firmes en 2003. L’entrée en scène de la multinationale Anglo-Suisse Glencore en 2011 marque un nouveau tournoi dans ce secteur.
En effet, l’imbroglio juridico financier qui entoure la relation contractuelle entre le gouvernement tchadien et cette multinationale nécessite un décryptage pour le bénéfice des tchadiens tant les enjeux financiers, économiques et sociaux des contrats unissant les deux parties sont colossaux. |
De ce qui précède, peut-on dire que le Tchad est victime de la « malédiction des ressources naturelles ?». Devant la crise sans précédent que le pays traverse actuellement avec la chute drastique du prix de baril du pétrole, il est temps de faire un diagnostic sans complaisance dont les conclusions doivent servir aux champs pétroliers et miniers nouvellement découverts.
Votre bimestriel Tchad Eco dans son huitième numéro, aborde la question des sociétés extractives en lien avec la soutenabilité de l’économie tchadienne. Il met un accent particulier sur les enjeux de l’entrée en scène de la compagnie Glencore sur le marché pétrolier tchadien et analyse les conséquences des contrats de prêts gagés sur le pétrole sur les finances publiques dans ce contexte de morosité de la conjoncture économique. Ce thème fera l’objet d’une conférence-débat, réunissant toutes les parties prenantes, que le CROSET entend organiser en mi-Novembre 2015. Vous y êtes cordialement invités !!!
A propos de l’auteur : Economiste spécialiste en Gestion de Politique Economique (GPE du CERDI), Jareth BEAIN dispose d’une longue expérience au sein d’un think thank spécialisé sur les questions de gestion des ressources naturelles. Il a été également consultant pour la Banque Mondiale. Il est Directeur de Publication de Tchad Eco et Président du CROSET. Pour voir le profil Complet de Jareth BEAIN. |
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