Dans quelle mesure les échanges intracommunautaires contribuent-t-ils à l’intégration de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) ? Or, il semble que les échanges intracommunautaires baissent constamment dans les pays membres de la zone CEMAC passant de 12% en 1995 à 7% en 2000 et sensiblement à moins de 2%[1] jusqu’à nos jours. Cette diminution s’observe en dépit des décisions et des textes politiques établis pour assurer l’accroissement des échanges dans la CEMAC afin d’assurer le développement économique et social.
La réponse à cette question peut se limiter à l’évaluation théorique des échanges au niveau de chaque pays composant la CEMAC et dans ce cas, on aurait pas une vision agrégée du développement des échanges commerciaux de la sous-région. Elle (la réponse) peut tout aussi permettre d’apprécier le rôle des échanges commerciaux sous-régionaux par rapport à l’intégration régionale et dans ce cas on pourrait mesurer l’impact des échanges sur le processus d’intégration dans la zone CEMAC ; cet impact, à notre avis, s’apprécie par rapport aux flux commerciaux (exportations et importations) de chaque pays membre pris isolément ou globalement. En effet, en quoi consiste l’intégration d’une sous-région, si par intégration on entend la transformation d’un type d’économie (nationale) en un autre type d’économie (communautaire)? Or, vouloir cette transformation de la CEMAC qui est une communauté économique et monétaire revient à vouloir l’amélioration d’une intégration économique qui repose sur au moins trois exigences : 1) Établir et aménager au mieux les relations économiques commerciales souhaitables entre les six pays à intégrer que sont le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée-Equatoriale et le Tchad ; 2) Rendre progressivement compatibles les plans économiques de chaque pays composant l’ensemble de la Communauté ; 3) Faire converger ces plans vers un optimum pour l’ensemble dans tous les domaines essentiels qui caractérisent la Communauté.
En d’autres termes, ces exigences consistent non seulement à intégrer des marchés mais aussi des économies de façon à arriver à l’unité de décisions. Par conséquent, l’intégration sous régionale par les échanges intracommunautaires se traduit par le renforcement des effets directs et indirects ou dynamiques de la Communauté que la CEMAC est censée contenir notamment, des économies d’échelle, de la réduction de l’incertitude et des risques liés à l’économie internationale.
Dans ce contexte, la régionalisation des économies et ses effets macro-économiques doivent revaloriser l’intérêt porté aux échanges commerciaux et à ses déterminants.
Échanges intra CEMAC : Qui échange quoi et avec qui ?
Répondre à cette question, comme disait Frémaux[2], c’est mettre à jour les structures de la mondialisation contemporaine. D’un côté, les États les plus riches, qui échangent entre eux de produits industriels, le jeu s’étendant désormais à la Chine et à quelques pays émergents (Indonésie, Singapour, Taïwan). De l’autre, des pays pauvres, qui n’exportent que quelques matières premières agricoles et minérales. Une situation qui leur fait subir les variations de la demande des pays du Nord et la volatilité des prix mondiaux. Cette dépendance est d’autant plus pesante que leur niveau de vie et leurs capacités de développement sont étroitement liés aux échanges extérieurs. En fait, de ce jeu qui réunit les pays les plus riches et ceux qui parviennent aujourd’hui à les concurrencer, on trouve encore un grand nombre de pays pauvres, en particulier africains, qui ne participent que marginalement au commerce international (ils ne pèsent que 4,5% du commerce « formel »). Tel est le cas des pays de la zone CEMAC où le commerce intra régional demeure constamment faible (1,6% pour les exportations et 3,1% pour les importations en 2013)[3].
L’accroissement des échanges intra-CEMAC a été une préoccupation constante de la plupart des pays membres de la sous-région. Malgré l’importance accordée à cette question et les nombreuses dispositions institutionnelles prises(TEC, TPG, TVA) [4] en vue de promouvoir le commerce inter-régional, vecteur important de l’intégration régionale, la part des échanges intra-régionaux est restée très marginale.
Les échanges intracommunautaires de la CEMAC plafonnent à moins de 45000 millions de dollars US[5], et restent dominés par une dizaine de produits dont les huiles brutes de pétrole, les carburants et lubrifiants, les sucres raffinés, les huiles végétales, les bières, les savons de ménage, les tôles et bandes en aluminium, les ciments, les bois contreplaqués, les tabacs et cigarettes lait, viande, cuirs et peaux, etc.
Il faut noter qu’actuellement le commerce intra-régional représente à lui seul un quart du commerce mondial. Plus de 60% du commerce des pays européens s’effectuent au sein de l’Union Européenne. De même, le développement de l’Asie s’accompagne d’une régionalisation des échanges : la région devient moins dépendante du reste du monde, que ce soit pour ses achats ou pour ses débouchés. Le commerce interne à la zone Asie a ainsi doublé au cours des années 90. Mais le commerce africain reste très mitigé. Qu’en est- il des échanges intra-CEMAC ?
Pour apprécier les échanges intra-CEMAC, notre analyse s’est appuyée sur une étude comparative[6] des échanges intra sous-régionaux de la CEMAC et six(6) autres Communautés Economiques Régionales(CER) ciblées (CEEAC, CEDEAO, COMESA, SADC, UMA, UEMOA).
Comparer les échanges commerciaux de la CEMAC par rapport à d’autres CER revient à se poser la question de savoir quel est le niveau des parts (absolue ou relative) des échanges intra-CEMAC dans la sphère des CER et quel est leur impact par rapport à l’intégration sous régionale. Le tableau ci-dessous nous donne un aperçu sur le faible niveau des échanges commerciaux intra-CEMAC
Evolution des échanges commerciaux de la CEMAC par rapport à d’autres CERSource : Tableau établi à partir des données du Manuel des statistiques du CNUCED, 2012 et Statistical, African yearbook, 2012
E : Exportations ; I : Importations X : Pourcentage des exportations et importations individuelles par rapport au total des exportations et importations intracommunautaires Y : Pourcentage des exportations et importations intracommunautaires par rapport au total des exportations et importations de l’Afrique Z : Pourcentage des exportations et importations intracommunautaires par rapport à l’ensemble des exportations et importations du monde.
Plus généralement, au vu de ce tableau, la CEMAC et la CEEAC se trouvent dans les dernières positions tant du point de vue des importations que des exportations.
D’autres facteurs néfastes freinent également le renforcement des échanges intracommunautaires. En effet, à titre d’exemple, en Europe, un noyau dur des pays (formé principalement autour de la France et de l’Allemagne) a clairement constitué un élément moteur des progrès réalisés dans plusieurs domaines clés (commerce, monnaie unique, défense.) au sein de la CEE devenue UE. À plusieurs étapes du processus d’intégration européenne, la France et l’Allemagne ont joué un rôle décisif dans l’émergence d’institutions supranationales. Aucun de ces deux pays, de « taille » relativement similaire, n’aurait pu accepter un processus d’intégration régionale fondé sur une simple extension des politiques ou de la juridiction de l’un ou de l’autre. Ceci ne contredit nullement le fait qu’un seul pays ancré puisse également jouer un rôle de catalyseur dans un domaine particulier du processus d’intégration. L’Allemagne s’est progressivement imposée comme le pays central, en raison des performances de la Banque fédérale et des caractéristiques de sa politique monétaire : un objectif de stabilité des prix clairement affiché et un Comité de la politique monétaire indépendant.
En Amérique latine, le Brésil, joue le rôle de catalyseur à l’égard du MERCOSUR. Les États-Unis sont, de toute évidence, l’élément moteur de l’ALENA.
En Asie, le Japon et la Chine possèdent une certaine légitimité pour prendre conjointement la tête du mouvement, et renforcent l’intégration. L’intégration économique en Asie a résulté de réseaux de production et d’échanges commerciaux entre opérateurs privés de marché. À l’origine de ce processus, dans les années quatre-vingt, le modèle économique de développement asiatique dit du vol des oies sauvages (“flying geese”) a joué un rôle clé à travers les nouvelles économies industrialisées (NEI) : Hong Kong, Corée du Sud, Singapour et Taiwan. et les quatre Dragons : Thaïlande, Malaisie, Indonésie et Philippines (Sophana et al, 2005).
En Afrique de l’Ouest, la CEDEAO et l’UEMOA, ont obtenu de bons résultats pour leur programme de libéralisation des échanges en ayant effectivement supprimé les droits de douane sur les produits traditionnels et de l’artisanat, en appliquant la libre circulation des biens et des personnes. Ce n’est donc que par un accroissement des échanges des produits traditionnels et de l’artisanat que cette communauté a pu obtenir de meilleurs résultats dans le domaine commercial. Les pays de la CEDEAO et l’UEMOA sont impulsés par la Côte d’Ivoire et le Nigéria.
En Afrique Centrale, il ne s’affirme pas un pays leader incontesté susceptible d’être le vecteur de l’intégration de la sous-région, et d’animer la promotion des intérêts commerciaux de ladite zone comme dans d’autres CER.
En effet, le Cameroun qui devrait être la locomotive de la sous-région, parvient difficilement à entrainer l’économie de la sous-région à cause des différents obstacles qui entravent les liens entre ces pays membres dont les plus importants sont surtout la volonté politique communautaire et les infrastructures. Pire, la CEMAC souffre encore aujourd’hui plus que jamais de leadership entre les Etats membres. Les anciens leaders désignés de cette zone (Cameroun, Gabon) se voient désormais menacés par l’ascension et l’émergence des pays autrefois considérés comme les moins nantis (Guinée Equatoriale, Tchad). De cette rivalité actuellement peu perceptible, étaient nées des tensions qui entravent aujourd’hui ce qui devrait constituer la force de la CEMAC : la circulation des flux de biens, services et de capitaux entre pays de la zone et surtout la libre circulation des personnes. Or, les textes et les mesures portant sur la libre circulation en zone CEMAC ont été pris depuis la création de l’UDEAC en 1968 et repris lors de son passage à la CEMAC en 1996, mais l’applicabilité de ces textes tarde toujours à être effectifs dans la totalité des six pays. L’émergence de la Guinée Equatoriale à cause de son pétrole lui permet de revendiquer une nouvelle hiérarchisation des rapports entre les pays membres et à tendance désormais à faire office de leadership économique de la zone au détriment du Cameroun. En somme, la CEMAC doit poursuivre à relever le défi sur les points suivants :
- l’incohérence du dispositif institutionnel de la CEMAC au regard de l’ambition de construction d’une véritable Communauté, se manifeste principalement par un outil institutionnel pas souvent adapté aux ambitions d’une Communauté, un poids politique communautaire insuffisant des institutions, la synergie insuffisante entre les institutions communautaires notamment entre la Présidence de la CEMAC, la BEAC et la BDEAC dans la mise en œuvre des programmes communautaires, le manque de cohérence des institutions spécialisées par rapport au dispositif global.
- la mise en application des différents accords et actes visant le renforcement de l’intégration économique et commerciale dans la sous-région, on en vient à relever l’existence d’un décalage dans l’application desdits textes. L’absence de mesures de contraintes ou de sanctions en cas de non application des dispositions communautaires peut justifier la défaillance dans l’application des dispositions communautaires relatives au développement du commerce intra-CEMAC[7].
- La prise de conscience collective de ce que la question des régions doit constituer un problème commun à tous les membres de la Communauté. On est en mesure de se demander si l’économie régionale est au cœur des contradictions des sociétés contemporaines). Aurait-elle formulé une théorie a-spatiale de l’intégration régionale ? La réponse à cette question nous incite à préciser que la théorie de l’intégration économique régionale en zone CEMAC ne trouve pas ses fondements dans la science régionale. Mieux, il n y a pas de théorie de l’intégration régionale en tant que telle.
Nous espérons qu’avec les efforts déployés ces dernières années par les pays de la CEMAC au niveau des infrastructures pour exécuter le projet du réseau routier intégrateur[8] et l’évolution de la mentalité vers le respect et la mise en application effective des actes et textes politiques au niveau communautaire, les échanges commerciaux entre les pays de la CEMAC s’intensifieront ; il s’en suivrait donc de manière tacite une accélération vers l’approfondissement de l’intégration proprement dite de notre sous-région.
[1] Moyenne arithmétique calculées à partir des donnée de la CNUCED et BAD (2010 à 2014)
[2] [2] Phillipe Frémaux, « Une mondialisation à plusieurs vitesses », Journal, Alternatives économiques, mai 2004, Pp.50-52.
[3] BAD,CNUCED,2011,2012,2013
[4] TEC : Tarif Extérieur Commun ; TPG : Tarif Préférentiel Général ; TVA : Taxe sur la Valeur Ajoutée
[5] BAD,2012
[7] On note dans la zone CEMAC, le peu d’empressement des responsables des États à donner une suite aux engagements pris dans le cadre des traités et accords en modifiant véritablement leurs politiques, législations, règles et réglementations nationales. Certains n’ont du reste pas hésité à demander un délai supplémentaire pour l’application de tel ou tel acte, différant du coup le respect des échéances ou des calendriers de libéralisation adoptés par eux.
[8] Chemins de fer ou routes : Douala-Bangui ;Douala-Ndjamena ; Kribi-Ndjamena ; Yaoundé-Bata ;Yaoundé-Libreville ; Libreville-Brazzaville ; Bata-Libreville ; Yaoundé-Bata ; etc.
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