Cette bonne nouvelle, attendue depuis plus de 14 ans, avait d’abord fuité le 24 avril dans un article en ligne du magazine panafricain Jeune Afrique qui aurait eu l’information grâce à une source interne. Elle sera confirmée quelques jours plus tard par un communiqué conjoint du FMI et de la Banque Mondiale datant du 29 avril 2014 annonçant l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative PPTE avec à la clé une réduction des dettes multilatérale et bilatérale d’un montant estimé à près de 1,1 milliard d’USD. Cette atteinte est le résultat d’un long parcours dont la première étape avait été franchie dès le 22 mai 2001, date de l’atteinte du point de décision.
Une bouffée d’oxygène pour les finances publiques asphyxiées
L’atteinte du point d’achèvement permet au Tchad de bénéficier d’une annulation immédiate de 170 millions USD de dette au titre de ses engagements vis à vis du FMI et une partie de sa dette multilatérale (IDA, BAD). Cela constitue une bouffée d’oxygène pour l’économie et le budget du Tchad qui souffrent actuellement de la chute du cours du baril. Cette décision intervient 8 mois après que le Conseil d’Administration du FMI ait approuvé en faveur du Tchad un nouvel accord triennal au titre de la Facilité Elargie de Crédit (FEC) pour un montant total d’environ 122,4 millions de dollars.
En terme nominal, la dette extérieure tchadienne a considérablement augmenté tandis qu’en pourcentage du PIB, celle-ci a baissé du fait de l’accroissement du PIB induite par le secteur pétrolier. Ainsi, entre 1992 et 2012, en pourcentage du PIB, la dette extérieure est passée de 110 à 14%. Exprimé en niveau par contre, celle-ci est passée de 634 millions UDS en 1991 à 1831 millions USD en 2012 soit un accroissement en moyenne annuelle de l’ordre de 5,18%.
Notons que cette dette a connu une brusque évolution à partir des années 2000 qui correspondent au début des investissements dans le secteur pétrolier tchadien suivi de la mise en exploitation des champs pétroliers de Doba en octobre 2003. Cela s’explique aussi par la reprise de la coopération avec la République Populaire de Chine qui, avec la Lybie, constituent les principaux créanciers bilatéraux du Tchad (hors Club de Paris). Ainsi, en 2013, la dette chinoise représentait à elle seule 7% de la dette bilatérale du Tchad (201,8 millions USD). Pour la Libye, la créance du pays sur le Tchad se chiffrait en fin 2013 à 9,3% de la dette extérieure totale du pays soit 262 millions USD.
En termes de répartition, la dette tchadienne annulée est en majorité détenue par des créanciers multilatéraux avec respectivement le guichet IDA (International Development Association) de la Banque Mondiale – 29% suivi du Fonds Africain de Développement de la BAD – 13%. Ensuite viennent les créanciers commerciaux (essentiellement la dette auprès de la Chine Taiwan) – 28% suivi des autres créanciers bilatéraux – 18% (Chine et Lybie principalement). Les créances auprès du Club de Paris (France et Italie) ne représentaient que 4% de la dette extérieure totale.
Un parcours parsemé d’embûches
Le pays a connu un long processus pour parvenir à l’atteinte du point d’achèvement. Quand il a atteint le point de décision en 2001, le Conseil d’Administration du FMI et de la Banque Mondiale avait alors approuvé en sa faveur un allégement de dette de 170,1 millions USD. Par la suite, des problèmes de gouvernance en matière de gestion des finances publiques et le désaccord avec la Banque Mondiale relatif à la modification par le gouvernement des dispositions clés de la loi 001 portant Gestion des Revenus Pétroliers ont empêché le pays d’atteindre le point d’achèvement. En effet, le Tchad a depuis lors été perçu comme un pays connaissant de graves problèmes de gouvernance comme le témoigne les faibles scores enregistrés dans le cadre de différentes notations sur la transparence et le climat des affaires (CPIA, Doing Business, indice Mo Ibrahim, etc.)
Questions de gouvernance économique
Les réformes de la gestion des finances publiques en vue d’assurer une plus grande transparence qui avaient pris du retard et le fait que la gestion du budget de l’Etat soit centralisée expliquent le retard de l’atteinte du point d’achèvement. Ces retards expliquent pourquoi les donateurs avaient fait preuve de réticences à offrir un appui budgétaire direct et la plupart de leur financement était canalisé directement vers les projets de développement. En outre, les conséquences des conflits internes passés, l’instabilité dans les pays voisins, les crises alimentaires successives provoquées par une pluviométrie insuffisante et les faiblesses de la gestion budgétaire ont retardé la mise en œuvre des programmes financiers et non financiers appuyés par le FMI et compromis par conséquent le respect d’un certain nombre d’indicateurs déclencheurs de l’atteinte du point d’achèvement. Toutefois, avec le retour à une relative stabilité du pays à partir du deuxième semestre 2008, d’importants progrès ont été réalisés dans la conduite de la politique économique et notamment la construction d’infrastructures essentielles au développement.
La dimension politique du point d’achèvement de l’IPPTE
D’après le magazine la Lettre du Continent, des arguments politiques et un appui discret de la France aurait également joué (LC n° 705 du 6 mai 2015). Le magazine défend la thèse selon laquelle la décision des institutions de Brettons Wood serait une forme de récompense pour le Tchad pour sa mobilisation sur plusieurs théâtres d’opérations en Afrique et dont les finances publiques sont dans une situation difficile du fait de la baisse du prix du pétrole et de la hausse des dépenses en vue de lutter contre la secte islamiste nigériane Boko Haram. Cet argument semble être corroboré par le communiqué du Conseil d’Administration qui précise que «le pays a pris les décisions clés, les actions et les mesures requises non pour tout mais quatre des quinze déclencheurs incluant la préparation participative d’une stratégie complète de réduction de la pauvreté (PND) et son exécution satisfaisante pendant au moins une année et le maintien continue d’une stabilité macroéconomique comme constaté avec la mise en œuvre satisfaisante d’une FEC. »
Cette décision des institutions de brettons Wood arrive d’autant plus à point nommé que la baisse des cours du brut a relevé l’ampleur de la dépendance du Tchad au secteur pétrolier. Il assurait plus de 70 % des recettes budgétaires, 90 % du total des exportations de biens et 30% du PIB nominal en 2013 (Rapport FMI no 13/284).
Impacts de l’annulation de la dette
L’atteinte du point d’achèvement ouvre la voie à une nouvelle ère au Tchad. En effet d’après Paul NOUMBA UM, Directeur pays de la Banque Mondiale, dans les prochains mois, son institution présentera son document de stratégie pays couvrant la période 2016-2020 qui sera axé sur les aspirations de développement du Tchad notamment en termes de développement rural, santé, éducation, protection sociale et gouvernance.
Il convient de noter que l’évolution des performances macroéconomiques du Tchad après l’atteinte du point d’achèvement sera sensible à la politique économique du gouvernement mais aussi aux exportations pétrolières. En particulier, le FMI insiste sur le fait qu’une gestion macroéconomique saine, des efforts en termes de diversification des exportations et une gestion prudente de la dette seront importantes pour la soutenabilité de la dette tchadienne.
D’après Mauricio VILLAFUERTE, chef de mission du FMI pour le Tchad, « L’atteinte du point d’achèvement PPTE représente une réalisation importante et un jalon pour le Tchad. Il reflète l’amélioration significative de la gestion économique au cours des dernières années, … » L’atteinte du point d’achèvement permettra sans nul doute au gouvernement d’allouer plus de ressources à la réduction de la pauvreté et la promotion de la croissance économique. Cependant, même si des dispositions de contrôle seront mises en place afin de s’assurer d’une utilisation efficiente de la dette rétrocédée, la réduction de la pauvreté au Tchad au moyen du budget de l’Etat nécessitera une réelle volonté des pouvoirs en place. Cette volonté se manifesterait si les cercles de décision s’attèlent à lutter contre la corruption dans l’exécution des dépenses publiques notamment mais aussi une bonne allocation des ressources pour les dépenses courantes de l’Etat. En effet, un rapport de la Banque Mondiale datant de 2013 montre que malgré les investissements importants consentis dans les secteurs de la Santé et de l’Education, les indicateurs de résultats dans ces domaines sont peu reluisants (Rapport No 80935-TD). L’une des raisons évoquées par le rapport est le faible niveau des dépenses de fonctionnement notamment pour l’équipement et les dépenses courantes des infrastructures réalisées. Améliorer les indicateurs sociaux passe donc par une allocation efficiente de ces dépenses et les partenaires au développement du Tchad sont interpellés à ce niveau en vue de s’assurer du bon usage de ressources rétrocédées en mettant en place par exemple des mécanismes de contrôle drastique. C’est à ces conditions que l’annulation de la dette tchadienne profiterait véritablement au développement socio-économique du Tchad.
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