OPINION: QUELLE ADMINISTRATION POUR UN TCHAD EMERGENT D’ICI A L’AN 2030 ?

Image du Ministère des Finances et du Budget du Tchad
Image du Ministère des Finances et du Budget du Tchad

En quinze années l’économie tchadienne peut-elle assurer sa transformation structurelle? Telle est la question qui fait débat tant l’émergence est aujourd’hui galvaudée dans des discours à tout va, perdant de ce fait au fil du temps sa capacité mobilisatrice au-près des différents acteurs sensés le faire passer d’un état de vi-sion à la réalité.

L’histoire économique et des peuples montre cependant qu’avec un leadership éclairé, assurer une transformation de fonds d’une économie sur une période de quinze à vingt années est possible à condition qu’on se pose les vraies questions et que l’on mette en oeuvre sans état d’âme les reformes issues d’un diagnostic sans complaisance. Une économie qui se transforme, qui produit les biens dont a besoin la population, en créant de l’emploi de qualité, se réalise dans un environnement de paix et de stabilité et est portée par une administration performante au service du secteur privé et de la population.

Au Tchad plus qu’ailleurs, la problématique de l’administration et de la sécurité et de la stabilité intérieure sont, de notre avis, les débats essentiels à traiter dans le cadre de l’étude prospective Tchad 2030. Il nous faudra en effet reconnaitre que la croissance inclusive qui conduit à l’émergence doit être portée par le secteur privé et la classe moyenne, le Gouvernement devant essentielle-ment assurer un environnement favorable.
En ce qui concerne l’administration, il convient de rappeler que sa réforme a été celle qui a cristallisé le moins d’attention de la part des Autorités. Du moins, ces reformes n’ont produit que très peu de résultats en dehors des récentes actions engagées pour faire correspondre le fichier de la solde avec le fichier de la fonction publique. Alors que dans de nombreux pays, des programmes de modernisation de l’administration sont en cours et produisent des effets bénéfiques importants qui pourraient justifier les perfor-mances de ces pays dans les classements internationaux.

Une analyse approfondie de l’administration tchadienne (au sens large, y compris l’administration judiciaire) mettrait en exergue une très faible performance, découlant d’une insuffisance d’organisa-tion, de structuration et de politique de motivation. Elle subit aussi les effets d’une insuffisance d’investissements sur plusieurs dé-cennies alors que la matière qu’elle est sensée administrer a pris du volume et est connectée à un monde devenu village planétaire. Enfin, l’administration tchadienne se caractérise par l’absence de vision. Tantôt ballotée par les institutions qui lui imposent souvent les actions à mettre en oeuvre, tantôt pris dans les jeux politiciens, elle change de cap sans savoir où elle veut aller. Qu’il me soit per-mis de ne pas m’appesantir ici sur des problématiques habituelles (corruption, clientélisme, nomination au mérite, etc.) non pas parce qu’elles ne sont pas importantes, mais bien parce que soit ce sont des maux dont les solutions sont évidentes et faciles à mettre en oeuvre par un leadership responsable, soit parce qu’elles trouvent des solutions dans la mise en oeuvre d’une vision plus profonde des changements à opérer. La transformation de l’administration tchadienne doit prendre pieds sur trois éléments de contexte majeur : l’adoption par le Tchad, voilà un an, d’une nouvelle loi orga-nique relative aux lois des finances (LOLF), la loi organique n°004/PR/2014 relative aux lois de finances. Plus qu’un texte encadrant la gestion des finances publiques, la nouvelle LOLF prône un renouveau de la gestion publique, basée sur la per-formance et la redévabilité des acteurs. l’incontournable défi de la modernisation, de la simplification et de la standardisation des procédures, grâce notamment aux NTIC; la fonction publique classique, celle de la carrière, a fait la preuve de ses limites. Il convient certainement de passer à un schéma plus en phase avec les réalités actuelles et les con-traintes liées à une gestion des ressources humaines axées sur les résultats. En outre, il nous parait indispensable de tenir de manière franche un certain nombre de débats autour des problématiques suivantes,; le rapprochement de l’administration avec les administrés, avec comme corollaire la nécessité de prendre des orienta-tions fermes pour l’opérationnalisation effective des collectivi-tés territoriales décentralisées et pour l’amélioration de la qua-lité des prestations de services publics ; l’architecture du Gouvernement pour donner plus de consis-tance, de cohérence et d’efficacité ; la structuration type d’un département ministériel en recon-naissant qu’il y a une fonction de pilotage, une fonction de conception de politique, des fonctions de mise en oeuvre et une fonction de suivi et d’évaluation internes; la mise en place et la simplification des procédures, dans une optique d’efficacité et de qualité. A court terme, l’accent devra être mis sur la simplification des pro-cédures, l’utilisation efficiente des ressources disponibles et la restauration des fonctions et des postes de travail; il convient de redonner du sens à un certain nombre d’actes (visite technique, casier judiciaire, etc.) et de taches adminis-tratifs (planification sectorielle, rapport d’activités, réunion interne, contrôle interne, etc.) ; les contrôles des effectifs et de la solde doivent être poursui-vis dans le sens du redéploiement des personnels oisifs; de la mise en place d’un système assurant efficacement la pré-sence effective et quotidienne des agents à leur poste par un contrôle via des terminaux électroniques; et la gestion d’un agent, de son recrutement jusqu’à sa retraite; une refonte du Secrétariat Général du Gouvernement vers ses missions premières, celles d’assurer la coordination admi-nistrative au sein du Gouvernement et, conséquemment, un rattachement adéquat des attributions relatives à la gestion des marchés et du patrimoine publics vers les ministères.

A moyen terme (cela ne veut pas dire qu’il faut attendre pour en-gager les actions), l’objectif devra être de faire de l’utilisation des NTICs une réalité quotidienne au sein des administrations inter-connectées (entre les administrations centrales, les administra-tions déconcentrées et entre les niveaux central et déconcentré) et connectée avec ses usagers. L’objectif devra être également de faire régner les principes de la redevabilité dans la gestion des ressources humaines et financières, ce qui est indissociable de la déconcentration de la fonction d’ordonnateur de la dépense pu-blique et l’élaboration et la mise en oeuvre des mesures de sanc-tions/récompense. Il est dommage de constater que le code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des fi-nances publiques adopté par la CEMAC en 2011, directive mère des cinq autres directives adoptées en 2011, tarde à être transpo-sée dans les textes nationaux alors même que le politique affiche l’amélioration de la gouvernance et l’adhésion au mécanisme d’évaluation par les pairs dans son agenda des priorités.

Il convient, à plus long terme d’assurer la suprématie du peuple sur les orientations techniques et politiques en faisant en sorte que l’administration serve effectivement à mettre en oeuvre les poli-tiques publiques qui sont élaborées à partir d’une consultation ci-toyenne et qui transcendent les régimes et les positions politiques partisanes. Dans ce cadre, assurer une participation de plus en plus grande de la population et des institutions indépendantes à l’élaboration, au suivi et à l’évaluation des politiques publiques de-vra être une voie à suivre. Autrement dit, l’administration doit ap-prendre à travailler avec la population et la société civile.

Comme on peut le voir, l’étude prospective Tchad 2030 n’est pas sans défi quant aux priorités à dégager et aux actions à mener. Elle doit offrir l’occasion de réaliser cette introspection devant aboutir à l’identification des tendances lourdes, des actions prioritaires et urgentes et la manière de conduire les reformes de manière plus efficace et plus vigoureuse.

Pour garantir que ce document de vision soit lui-même un instru-ment au service du peuple et de l’administration et non pas d’un parti politique, il lui faut requérir la contribution et l’adhésion de tous, et en particulier de l’élite intellectuelle, des jeunes, de la dias-pora. Il lui faudra de prime abord reconnaitre la nécessité d’instau-rer la gestion axée sur les résultats qui suppose le renforcement de la cohérence de la chaine PPPBSE (prospective, planification à long terme, programmation à moyen terme, budgétisation, suivi et évaluation). Chaine qui, malheureusement n’est pas en place et qui suppose une refonte de la fonction de planification et de program-mation et la modernisation des instruments de budgétisation. Le suivi et l’évaluation doivent également être repensés pour donner place à un suivi et une évaluation externe par la société civile mais aussi par les institutions de la République que sont l’Assemblée Nationale et la Cour des Comptes. A coté d’un système de suivi et d’évaluation interne au Gouvernement qu’il conviendrait de restructurer. A ce titre, le Ministère du Plan qui porte cette étude prospec-tive a du pain sur la planche pour assurer lui-même une mutation profonde en vue de porter la mise en oeuvre de la vision. Est-on prêt à tout cela ? Wait and see.

Djoret BIAKA TEDANG

A propos de l’auteur

Sans titreDjoret BIAKA TEDANG est ingenieur statisticien et économiste. Ce féru des finances publiques cumule 15 ans d’expériences en qualité de consultant international. Il a  débuté sa carrière sa carrière à l’Institut National de la Statistique, des Etudes Economiques et Démographiques (INSEED), avec de rejoindre AFRISTAT en 2005.  Après AFRISTAT, il est revenu, environ cinq ans après, en 2010, pour apporter son appui technique à la Direction Générale du Budget dans le cadre du Programme PAMFIP financé par la Banque Mondiale. Djoret BIAKA TEDANG est actuellement Directeur du cabinet de consulting spécialisé dans les domaines économiques et financiers Economix Performance Ingineering (EPI SARL).

http://epi-cons.org/

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